Duo Huiban/Thébaut : Bretagne et Poitou jouent à saute-bouton

Les habitués des festoù-noz connaissent bien le premier par le swing élégant qu’il dispense dans des formations comme Skolvan, Wipidoup, Huiban/Becker (Kof ha kof), dans des projets comme Idéal Jazz ou en solo, les fondus de bal folk apprécient le second pour le plaisir qu’il prend et donne dans des approches aussi bien franchement folk que bien trad (Ballsy Swing, duo Thébaut…). Comme ces deux types de bal demeurent encore des univers peu perméables, le duo que forment Régis Huiban et Lucas Thébaut est une belle découverte en devenir pour tout le monde, porté par des artistes avec de la personnalité et des répertoires qui ne demandent qu’à se fréquenter davantage. Aucun systématisme, aucun oecuménisme de principe derrière la démarche : que de la musique et de l’humain comme moteurs. En envoyant balader les chapelles et les clochers, les deux accordéonistes s’intéressent surtout à un dialogue et une écoute au service de la musicalité. Et pour une fois que ce n’est pas du verbiage ronflant, on aurait tort de juger l’initiative avec désinvolture.

Bon, je vais commencer par une idée farfelue et peut-être inconfortable pour vous, mais tant pis… Plutôt que de décliner vos identités respectives, est-ce que vous pouvez chacun présenter l’autre? Tout étalage de compliments est accepté, mais il s’agit juste de situer de façon subjective qui est chacun des membres du duo.

Régis :Je ne connais pas bien ce mec, je l’ai pris en stop un jour, maintenant il n’arrête pas de me suivre…

Lucas : Régis Huiban, petite quarantaine sur le début, toujours le sourire pour ces dames, qu’il s’applique à accompagner d’un doigté pour le moins percutant ! Joue aussi du chroma.

Hormis ce malheureux épisode auto-stop, comment est née la rencontre? Humaine et musicale?

R : Sérieux, Lucas joue de l’accordéon diato, je l’ai croisé à Gennetines, notamment en duo avec Robert, son père, sur un répertoire poitevin qui m’a plu pour son groove. L’idée m’est venue par la suite de « croiser le fer » sur nos répertoires trad (breton d’un côté, Poitou-Centre France de l’autre).

L : Régis, je l’ai aussi croisé dans ce même festival, où il jouait en solo pour l’occasion. J’ai super accroché à sa façon de traiter le répertoire et d’harmoniser tout ça. Tout en groove et en couleurs. Ensuite on a commencé à se parler, et il a craqué quand j’ai déjoué son jeu des voyages je crois. J’ai été embauché peu après. Le jeu en question est un système d’énigmes à décoder.

Ah punaise, il y a des épreuves initiatiques en plus…

L : T’as pas idée … Y en avait une autre qui s’appelait « Mélicass », mais ça, c’est une autre histoire …

On prépare une version tabloïd d’IciBal, donc on pourra en reparler… A quand remonte, après ce coup de foudre initial en terre folkeuse estivale, votre première session musicale « pour de vrai »?

L : Mmm … février 2016, je crois. On s’est fait une résidence à Pont-L’Abbé, chez Régis.

R : Funambal ensuite, et Gennetines.

Je vous ai découverts en bal (et en stage de danse poitevine) à Vezin-le-Coquet (35), où vous étiez invités par une asso qui fait se fréquenter fest-noz et bal folk. Je pensais que c’était votre première fois.

L : Non, c’était une … troisième. Mince, on a si mal joué que ça ?!

Non ! Par contre, ça avait encore l’air d’être très exotique pour Régis de lancer les « en avant deux! »… Mais justement, parlons spécificités régionales. Quelle connaissance aviez vous du répertoire d’origine de l’autre, le Poitou d’une part et la Basse Bretagne de l’autre ?

R : Les quelques excursions que j’ai faites à Gennetines m’ont aiguillé vers des groupes trad intéressants, notamment Ciac Boum pour le bal poitevin.

L : Pour ma part, je m’étais un petit peu frotté au répertoire breton avec Maud Madec (chant/bombarde) dans le groupe les Doigts de Carmen. Ça concernait un répertoire qui tendait un poil plus vers le Vannetais, mais on avait pas mal bossé en détail pour certains phrasés et accents. Mais avant ça, c’était un répertoire principalement écouté pour moi, je ne m’y étais jamais aventuré sérieusement.

Et donc, pour travailler tous les deux, par quel bout vous avez pris ça? Vous avez fait tourner des thèmes, discuté beaucoup de ce qui fait le style des musiques et des danses? Comment s’est constitué votre répertoire commun?

L : Un peu de tout ça oui. On a essayé de sélectionner chacun en amont des éléments de répertoire qui soient accessibles à l’autre et on les a fait tourner pour les faire sonner, en s’expliquant au besoin les repères à garder et les directions à prendre.

R : On a fonctionné par envois de thèmes trad par internet dans un premier temps, quelques compos, des airs déjà arrangés, pour gagner un peu de temps.

Indépendamment d’une part de la différence chroma/diato et d’autre part de la spécificité des répertoires, quels ressentis vous avez eus à jouer ensemble, en termes d’intentions de jeu, de styles personnels? Il a fallu raboter des choses, arrondir les angles ou bien vous avez trouvé des terrains de convergence spontanément?

R : Ça groovait dès le début.

L : Je dirais que ça a marché assez vite. Chacun est arrivé avec des forces et des moins-forces pour le répertoire de l’autre. Mais avec un pilotage assisté, les petites choses se sont vites trouvées. En tout cas, c’était rapidement dans le plaisir.

R : il y a toujours des adaptations, le chroma qui transpire la gavotte a évidemment du mal à reproduire les accents d’une maraîchine au diato.

L : Et vice-versa : pour le diato qui rebondit tout le temps, c’est un travail de rentrer dans la dynamique plus constante, plus hypnotique de certains répertoires bretons.

À vous entendre jouer (je ne suis pas accordéoniste (dieu merci), donc j’aurais du mal à analyser en quoi exactement), on a l’impression d’une complémentarité. En tout cas, il y a de l’espace pour chacun, alors que vous apportez l’un comme l’autre pas mal de choses, déjà. Comment chacun a pu trouver sa place? C’est Régis qui pilote sur la gavotte et Lucas sur les maraîchines ou ça se passe autrement ?

R : Complémentarité, c’est le terme.

L : Sur les airs dont les dynamiques sont les plus subtiles, on a tendance à faire ça, et à suivre l’autre. Parfois, c’est un bon unisson qui envoie. Et puis l’accordéon a la chance de pouvoir jouer des harmonies et d’accompagner, rôle que l’on prend chacun son tour.

R : On peut jouer quantité de thèmes et d’accords sur l’un ou l’autre des répertoires, l’idée est de trouver aussi le timbre commun, comme un seul musicien.

Après, pour caricaturer, je dirais que tous les accordéonistes bretons ne jouent pas la gavotte comme Régis et tous les accordéonistes poitevins ne jouent pas comme Lucas… Vous avez l’impression qu’en tant que musiciens d’une part, et comme accordéonistes d’autre part, vous vous rejoignez en quoi, dans vos attentes, vos goûts, mais aussi vos lubies ou obsessions personnelles ?

R : On se rejoint sur l’énergie, les belles couleurs.

L : Il faut que ça groove, et pour autant il ne faut pas que ça groove n’importe comment. On aime le son qui porte, qui envoie, les harmonies qui englobent bien. On aime aussi bien les répertoires trad que les accords swing et les compos qui font bouger.

Et pour ce qui est du répertoire proprement dit, vous vous êtes focalisés spécifiquement sur la musique à danser, pour jouer en bal ou bien il existe une formule concert, prête, en cours de réalisation ou envisagée?

L : Non, on y est pour le bal.

R : on a titré cela : Bal Trad des Grands Soirs.

Pour en revenir au bal, sous ses différentes appellations (folk, fest-noz…), quel est votre attachement particulier à ça? Qu’est-ce qui vous plaît, chacun, et tous les deux, quand vous jouez pour faire danser les gens? Et on peut élargir votre lien avec le bal au delà de votre rôle de musicien, aussi.

L : Mmm … moi, j’apprécie le fait que toute l’attention de la salle ne soit pas centrée sur les musiciens uniquement, dans un silence religieux. Le fait que les gens dansent et qu’ils te renvoient une part de l’énergie impulsée. Les lieux, les modes de pensées souvent alternatifs à la consommation culturelle mainstream. Le fait que les gens se prennent dans les bras et discutent entre eux, même s’ils ne se connaissaient pas avant d’arriver.

R : Perso, je viens du bal musette, puis du bal breton (fest-noz). Je fais danser depuis mon enfance. Tout en faisant des concerts qui n’ont rien à voir (compos, jazz, chansons française, spectacle jeunesse..) Je n’aime pas les noces, mais j’aime bien les salles de bals, les lampions, les planchers cirés… C’est avant tout un événement social pour moi. Même si je suis musicien et danseur, ça passe après.

Quel a été l’accueil de votre duo jusqu’à présent? On vous a fait part de quels ressentis?

R : Peu d’occasions pour l’instant (Funambal à Lyon, Gennetines, Vezin, tournée italienne, CaDansa), mais on nous a déjà demandé un CD !

L : On souffre un peu de la dichotomie des publics de danseurs Fest-Noz/Bal Folk, qui sont en ce moment des mondes un peu trop clivés, malheureusement. Mais à part ça, l’accueil est plutôt chaleureux.

Ok, on peut revenir là dessus un peu, avant de parler projets, enregistrements, pacs, tournées au Japon, etc… Comment vous comprenez/qualifiez ce clivage, en 2017?

R : Je trouve un point positif dans le bal folk : on ne se prend pas au sérieux, c’est décomplexé. Dans le trad, il y a un cahier des charges, on est vite rangé dans des cases (trop ceci, pas assez ça… )

L : Deux types d’événements assez similaires dans la forme, mais qui résultent d’évolutions assez différentes. Le bal folk se renouvelle aujourd’hui avec moins de politisation qu’il y a 20 ans. Davantage d’individualisme (comme le veut notre temps) et d’orientation vers la danse en couple, les lumières tamisées, etc. Le fest-noz semble d’avantage tourné vers la danse collective, avec aussi un fond plus prononcé de revendication culturelle. Mécaniquement, ce sont des publics différents qui s’y sont retrouvés avec le temps, et je ne parle même pas du lien fort qui existe entre le fest-noz et le fait d’être breton, là où, en bal folk, on peut être de n’importe où et être un fervent pratiquant du répertoire d’à côté.

Pour autant, votre collaboration montre que sur le plan de la musique et de la danse stricto sensu, les répertoires peuvent cohabiter non? Ceci dit, effectivement, il y a des présupposés cultivés par une histoire différente et qui amènent des publics avec des attentes différentes. Je ne sais pas si pour vous, ça peut poser un problème pour se faire programmer. Pas assez ceci ou trop cela, encore une fois…

L : A la base, l’un des musiciens s’intéresse à l’autre, il veut apprendre, dans le trad c’est comme ça, il y a une sorte de passage du témoin, de « maître à élève ».

R : Je suis d’accord avec Lucas, mais d’avis à faire 3 groupes (le fest-noz, le bal trad et le bal folk). Dans le folk, on s’en fiche, on peut venir du rock, de la variété ou du classique, et faire du folk. Dans le fest-noz (9 danses sur 10 en ronde ou en chaîne), les danses « d’ailleurs » ont du mal à s’implanter.

A vous écouter, on se dit aussi que quelque part, en creux, votre duo titille la question de l’identité et de la place des répertoires de Haute Bretagne, maraîchines et surtout avant-deux et autres contredanses, parents pauvres du fest-noz même dans leurs régions d’origine. Entre le monde de la gavotte et celui des avant-deux poitevins, il y a cette « autre Bretagne » un peu laissée de côté pour plein de raisons. Est-ce que ce sont des répertoires que vous connaissez un peu, et est-ce que ça vous interpelle d’une manière ou d’une autre, ce côté « chaînon manquant » (pour aller vite) entre vos deux répertoires?

R : Je dois avouer ne pas trop connaitre les danses de Haute-Bretagne.

L : Non, pour être francs on ne s’est pas posé la question du « chaînon manquant ». Il n’y avait pas d’approche ethnomusicologique dans l’envie de monter ce répertoire. C’est plutôt venu de l’envie brute de jouer ensemble.

Pour finir, est-ce que cet échange vous aura fait changer des choses dans votre manière de jouer, ou d’envisager la musique à danser?

L : Ah ben clairement oui ! Mais personnellement, j’ai envie de dire que c’est comme ça à chaque rencontre musicale. Ça impacte forcément d’une manière ou d’une autre, sans parler du nouveau répertoire et de la nouvelle amitié.

crédit photos : Véronique Chochon