la guitare en musique bretonne (9) : analyse et conclusions

En 2013, le guitariste Heikki Bourgault menait une série d’entretiens avec des guitaristes de la scène bretonne (essentiellement fest-noz) en se penchant, par le biais d’une proposition d’accompagnement à élaborer pour une gavotte chantée, sur les possibilités de l’instrument, les différentes manières de chercher à être pertinent dans ce cadre de musique traditionnelle. De ces entretiens nous avons fait une feuilleton, paru tout au long de l’année écoulée, et il est maintenant temps d’en venir à des propos conclusifs, en analysant ce qui a été recueilli pour en tirer des leçons sur la pratique de la guitare. C’est donc à ce travail de synthèse et de compréhension qu’Heikki se livre ici pour ce dernier article. Enjoy…

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Mes sentiments à l’issue des entretiens

Très à l’aise en harmonie, Ronan Pellen analyse tout de suite le cadre du morceau pour savoir où il se trouve. Il me propose tout d’abord une grille qui lui semble tomber sous le sens, rendant ainsi service à la mélodie, puis cherche d’autres solutions afin de proposer un discours plus large. C’est propre, carré, léger, on lui fait confiance sans problème quand il joue. Son attrait pour l’harmonie permet de faire ressortir des couleurs que l’on n’avait pas forcément imaginées, « ouvrant » ainsi la mélodie sur quelque chose de très clair et d’assez pur…

J’ai trouvé Erwan Moal vraiment à l’aise pour jouer des mélodies. Il le dit d’ailleurs, il a beaucoup travaillé ça, et il adore. On retrouve sa musicalité dans son jeu au thème, riche d’intentions, d’oscillations binaire/ternaire avec des outils techniques bien maîtrisés (ornementations main gauche et main droite très claires). J’ai trouvé son son assez « sec », percussif, rendant son discours très compréhensible, clair. En accompagnement, un jeu plus droit laisse la place pour l’expression du thème. Il est à l’aise dans cette tonalité et ne s’est pas arrêté sur une grille, on retrouve les couleurs de l’accordage DADGAD.

Dans le jeu de Roland Conq perce une vraie générosité, le plaisir de partager. Harmoniquement, on retrouve là aussi les couleurs du DADGAD et de ses cordes à vide, avec parfois des changements de bourdon efficaces. On se sent porté, l’énergie est bien là ! J’ai l’impression d’avoir un bon camarade, allant dans le même sens que celui de la mélodie. Cela donne une seconde force au thème…

Tout de suite, Soïg Sibéril cherche des solutions pour faire sonner le thème à la guitare. Il n’hésite pas à l’adapter, sous forme de micro-variations, pour proposer des ornementations qui se prêtent bien à son jeu. Il propose donc sur la la mélodie quelque chose de très solide, avec pas mal d’ornementations et de mouvements (pause dans son jeu, variations binaire/ternaire). En accompagnement, on se sent porté dans le même sens, un jeu avec beaucoup de force sans être chargé, avec des couleurs de l’accord ouvert. Il dit ne pas connaître les théories de la musique, mais des couleurs harmoniques très personnelles et originales apparaissent dasn ses compositions au jeu au doigt.

Influencé par sa culture en musiques actuelles, Yohann Le Ferrand entend des choses dans l’appel qu’il fait transparaître dans son jeu. Il laisse l’énergie de la danse au thème et propose un discours complémentaire clair et aéré où il est facile de se repérer. Ses couleurs rappellent celles des musiques actuelles, il joue en accord standard. On se rend compte ici que le matériel thématique breton se laisse facilement emporter dans d’autres univers musicaux et influences diverses, afin de varier son discours initial.

Le thème et l’énergie de la danse sont exposés, Tristan Le Breton accompagne. Il propose donc ses couleurs, sa texture, qui ne chevauche en rien le discours de la mélodie. Bien qu’il utilise l’accordage ouvert DADGAD, on se retrouve aussi un peu surpris par les couleurs peu communes qu’il propose, donnant un joli côté « verni » à la chose.

Interprétation des entretiens

À l’issue de ces entretiens, il a été intéressant de repérer des ressemblances, des points communs mais aussi des divergences d’approche entre les guitaristes interrogés. Il est important de noter que les musiciens que j’ai rencontrés ont tous une bonne connaissance de la culture traditionnelle, par la musique mais aussi par la danse. Sur le support audio que je leur ai proposé, ils ont pour la plupart reconnu les interprètes du thème (Annie Ebrel et Nolwenn Le Buhé), et ont su qu’il s’agissait d’une gavotte, en déduisant alors de façon globale ce qui fonctionne avec leur jeu.

L’origine des musiciens

On peut tout d’abord noter leurs différences de culture musicale, issue d’école de musique ou de cours associatifs pour Ronan Pellen, qui dit avoir une culture urbaine au départ, Roland Conq qui a découvert la guitare par le classique et la musique bretonne par le bagad. D’autres ont connu la musique bretonne par leurs parents, musiciens aussi, comme Erwan Moal dont le père Gildas Moal est un sonneur reconnu du pays plin, ou Tristan dont le père fait partie d’un groupe de fest-noz depuis plus de 30 ans, et Yohann Le Ferrand dont le père est professeur de guitare. Cela influe directement sur la rencontre des musiciens avec la culture traditionnelle, soit directement par le lien parental, soit en découvrant cela plus tard en étant séduit par l’ambiance conviviale des bœufs et des festoù-noz.

Les Accordages

Différents accordages sont utilisés ; le DADGAD est bien celui qui revient dans les discussions, pratiqué par beaucoup de guitaristes en Bretagne (ici Roland Conq, Erwan Moal, Soïg Sibéril et Tristan Le Breton), même s’il n’est pas adopté par tout le monde. Certains l’ont pratiqué et sont revenus à l’accordage standard (Yohann Le Ferrand) ou à un accordage différent (en quinte sur 5 cordes doublées pour Ronan Pellen au cistre)…

Les différentes approches

Le discours musical proposé varie beaucoup selon les personnes rencontrées. En effet, certains sont très à l’aise et plus intéressés à jouer des mélodies à la guitare (Erwan Moal, Roland Conq et Soïg Sibéril par exemple ont su développer des techniques main droite et main gauche très personnelles pour l’interprétation des nuances des mélodies à la guitare) et partent de cela pour développer leur discours. Erwan et Roland parlent ici de la guitare comme d’un rôle de biniou, répondant au meneur. D’autres vont privilégier une approche harmonique, incluant une analyse du mode et de la tonalité du thème, pour construire une atmosphère musicale respectant ce cadre, se nourrissant d’influences venues d’autres musiques (Tristan parle de musique classique, Yohann de blues…), avec l’envie de surprendre, de trouver d’autres couleurs que celle du DADGAD « standard », accordage qui incite à jouer plutôt en Ré. Il semble compliqué d’analyser harmoniquement ce qui est proposé par les différents musiciens. En effet, découvrant la mélodie dans l’instant, aucun des accompagnateurs ne joue quelque chose de vraiment figé. Ils cherchent, proposent différentes couleurs.

Rapport à la danse

Il apparaît que le rapport avec la danse et son style (ici, la gavotte) n’intervient pas trop dans le jeu de guitare, si ce n’est quand elle joue le thème. Dans ce rôle, Soïg Sibéril et Erwan Moal utilisent une palette large de techniques de main droite et main gauche très percussives pour donner du mouvement dans leur phrasé, le médiator de la main droite vient donc frapper les cordes sur les temps forts de la danse, alors que les autres notes vont être jouées plutôt avec des techniques de main gauche type « hammer in » et « pull off », le tout avec beaucoup de micro-variations, afin de donner de la vie à la mélodie. Concernant l’accompagnement, on retrouve plusieurs fois un schéma avec des changements d’accords sur les temps 1, 4 et 7, qui semblent être des « rendez-vous » avec la danse et la mélodie, même s’ils ne sont que suggérés, comme le font Ronan Pellen, Erwan Moal, Yohann Le Ferrand, Roland Conq et Tristan Le Breton. Soïg Sibéril fait naturellement ses changements sur les temps 1 et 5, apportant ainsi un autre groove.

Il semblerait donc que, concernant la danse, l’instrument accompagnateur peut ne pas s’en préoccuper, sans pour autant lui nuire. Pour Yohann Le Ferrand, la notion de danse dans « Fañch Loric Sextet » est assurée par les sonneurs et basse/batterie, quand Ronan pense que les danseurs n’ont pas besoin de lui pour savoir comment danser la gavotte, et que les plans rythmiques complexes ne sont pas un problème pour danser s’ils sont bien en place.

Pour conclure…

La guitare reste un instrument « nouveau » dans la musique traditionnelle bretonne et il semble impossible de classifier les différentes écoles de jeu. Ce qui est remarquable, c’est le côté très personnel de chaque musicien souhaitant avoir son propre discours, son propre regard sur cette musique, mettant ainsi la richesse de la musique bretonne en avant, ne serait-ce que par la diversité de ses approches et de ses propos. Pouvant être rythmique, harmonique ou mélodique, la guitare devient alors exploitée sous toutes ses formes, dans cette musique où sa présence devient monnaie courante. J’ai été frappé par la culture de ces musiciens, en musique et danse bretonne tout d’abord, mais aussi plus largement dans d’autres styles de musiques, tels que le jazz, les musiques du monde, le folk, le rock, le classique… Avec cette richesse, certains arrivent à proposer un métissage de leurs influences (parfois des musiques écrites pour la guitare comme le folk ou le blues par exemple), et proposer ainsi un accompagnement riche et adapté à leur instrument, tout en respectant le propos initial de la mélodie.

Du point de vue du jeu en lui même, j’ai trouvés que certains pouvaient sembler exagérés mais comportaient en fait une force et un jeu très clair.

L’ensemble de ces entretiens m’a permis de rencontrer et de mieux comprendre les différentes approches de ces musiciens. À propos de la danse et du style, on retrouve des intentions, des mouvements, lorsque le thème est joué. En revanche, quand la guitare se trouve dans une position d’accompagnateur, elle est jouée de façon moins bavarde, suivant le « swing » du thème en proposant un discours de soutien ou complémentaire, en colorant ainsi sans mener. Cela m’a donc apporté des points de vue, des solutions propres à chacun.