La guitare en musique bretonne (8) : entretien avec Tristan Le Breton

Voici donc (en attendant d’en effectuer d’autres ?) le dernier des entretiens réalisés il y a 6 ans par Heikki Bourgault dans le cadre de son mémoire portant sur « la pratique actuelle de la guitare et de l’instrument accompagnateur en musique bretonne ». La démarche générale, notamment autour du support utilisé pour aborder la pratique de l’instrument, a été présentée précédemment.

Ces entretiens, comme autant d’approches possibles du rôle de guitariste en musique bretonne, sont relativement anciens, même s’ils ne sont restitués ici que maintenant ; merci de garder à l’esprit que chacun des intervenants a nécessairement fait son chemin depuis, et qualifierait peut-être les choses autrement maintenant.

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Jeune guitariste originaire de Montertelot (56), Tristan 1 joue avec SkeeQ, Beat Bouet Trio, Luge, An Tri Dipop… C’est d’ailleurs à l’occasion d’un remplacement dans ce dernier groupe que je l’ai rencontré. Multi-instrumentiste autodidacte développant également la batterie, le human beatbox et la mandoline, Tristan cherche en tant que guitariste à explorer différentes facettes de l’instrument en utilisant ses capacités de musicien varié. J’ai vraiment apprécié l’écriture de ses accompagnements, et j’ai voulu en savoir davantage…

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Tristan, pourrais-tu me parler de toi, de comment tu es arrivé à la musique… ?

Pour tout dire, j’ai commencé la musique assez tard, mais mon père joue dans un groupe de musique bretonne qui s’appelle Koskerien, qui existe et tourne depuis 30 ans… Il fait de la guitare et du violon. Du coup, quand j’étais petit j’étais obligé d’aller au fest-noz… Mais ma passion première c’était le foot. Je voulais en faire mon métier, mais le destin m’a rattrapé. C’est en 3e qu’un jour j’ai entendu mon père jouer un morceau de guitare tout seul (« My old friend Pat » de Marcel Dadi) et j’ai trouvé ça tellement beau ! « Tu ne voudrais pas m’apprendre ce morceau là ? » lui dis-je. Il me répond « Alors si tu veux apprendre ce morceau là, il va falloir que tu passes d’autres étapes avant ! ». Mon aventure musicale commençait à ce moment même.

Comment s’est faite la rencontre avec la musique bretonne ?

Je suis arrivé au lycée avec ma guitare électrique, avec l’envie de monter un groupe de rock, ce que j’ai fait. J’ai alors découvert la batterie pendant les répés. J’étais également conquis par cet instrument, et j’ai commencé en achetant une batterie d’occasion à un ami avec toutes mes économies. Je raconte ça car c’est important pour la suite. Au lycée de Ploërmel, j’ai ensuite rencontré Rozenn et Thomas qui venaient de monter un duo de fest-noz, mais je leur ai dit que moi, la musique bretonne, ça ne me branchait pas trop… Ils m’ont convaincu de les accompagner avec des percus, mais après une répé je leur ai dit que je préférais faire de la batterie. En plus, j’avais un copain qui venait de se mettre à la basse… Le groupe, c’était les Musiciens d’Oz. On a commencé à jouer à quatre, et j’ai commencé à redécouvrir la musique bretonne avec eux, ils m’ont dit que ce n’était pas juste Koskerien, Stivell ou le Star Sytem bretonnant qu’on nous servait à la télé et la radio. Ils ont commencé à me faire écouter des groupes comme Ar Re Yaouank, Hamon/Martin, Karma, Gwenfol Orchestra. J’ai été séduit par le nouveau souffle de ma culture, que je ne connaissais finalement pas vraiment.

Tu as donc commencé à pratiquer cette musique en tant que batteur ?

Oui, j’ai commencé la musique bretonne en batterie. J’apprenais les danses que j’avais sans doute déjà dansées, mais je les apprenais avec un nom, avec une spécificité des pas, de la mélodie, des temps forts, des temps faibles… vraiment découvrir la richesse de cette musique. Pour un batteur, c’est des contraintes, mais ça apporte aussi de l’inspiration, ça permet de trouver des phrases rythmiques que tu n’aurais jamais trouvées si tu n’avais pas de contraintes. J’ai bien aimé cette approche là. Le guitariste des Muziciens d’Oz, lui, était accordé en DADGAD, et c’est avec lui que j’ai découvert cet accordage. En reprenant la guitare à la maison, j’ai décidé d’essayer cet accordage ouvert.

Ce fut une belle révélation : pouvoir jouer une mélodie avec un bourdon, faire sonner une mélodie modale (notamment celtique) avec beaucoup plus de liberté que sur un accordage standard, découvrir la puissance des possibilités d’accords résonnant (ou pas). Ma curiosité était (est toujours) sans fin.

Ce qui m’a fait faire de belles rencontres par la suite, c’est un projet qui s’appelle le SNAP (Suède, Nord Angleterre et Ploërmel). Développé dans le pays de Ploërmel, celui de mes parents, c’était un projet financé par l’Europe, pour la promotion des musiques traditionnelles et dirigé par Yann Dour, accordéoniste du pays de Josselin/Ploërmel. C’était la deuxième ou troisième année que ça se faisait et, cette année là, il y avait Jonathan Dour. Ça a été une grande rencontre, le contact est vraiment bien passé et on avait envie de continuer à jouer ensemble. J’y ai aussi rencontré Anjela (Lorho-Pasco), avec qui je joue toujours aujourd’hui. Après, j’ai fait mon petit bonhomme de chemin dans les rencontres et les projets : Beat Bouet Trio (beatbox), SkeeQ (guitare), An Tri Dipop (guitare), Luge (batterie) pour n’en citer que quelques uns.

On joue de la gavotte ?

Je préfère jouer l’accompagnement, ça te va ? Généralement, j’entends des trucs dans la tête et j’essaie de les refaire. Je sais que c’est une gavotte, donc il y a des temps forts, des temps faibles que je vais accentuer rythmiquement, et des espèces de cadences harmoniques qui reviennent souvent, là je faisais un truc « accompagnement basique », comme si j’étais en session par exemple. Je n’étais pas du tout dans une recherche, comme je fais dans An Tri Dipop, où je vais travailler vraiment un accompagnement un peu plus approfondi. Il y a plusieurs axes où tu peux partir, des ostinatos rythmiques… Moi, ce que j’aime souvent par exemple c’est de faire un ostinato rythmique et de changer très peu de choses, par exemple dans l’harmonie, ça reste un ostinato mais qui change de façon infime. Ou autrement, aller vraiment dans l’harmonie… Généralement, pour trouver quelque chose qui me plait, je cherche un truc que l’on ne trouve pas forcément, enfin qui ne tombe pas dans l’oreille. Certains plans sont vus et ré-entendus, et ça ne me dit pas de faire ça. Ça me séduit, mais moi ce dont j’ai envie, c’est essayer d’aller plus loin, d’ouvrir un autre univers. J’aime beaucoup l’harmonie poussée aussi J’aime bien me prendre la tête là dessus car j’écoute pas mal de choses, et puis je suis pas mal influencé par la musique classique, surtout du 20e siècle, et il y a des choses que j’entends ou des couleurs que j’ai envie de réentendre, et que j’ai envie de me réapproprier dans une musique traditionnelle.

SkeeQ

Donc il s’agit plus de faire correspondre ta couleur avec la musique ?

Oui c’est ça, de chercher une couleur à moi. L’accompagnement que je jouais avant, par exemple, qui je pense a été joué une centaine de fois, voire plus, je me dis pourquoi chercher un truc nouveau. Parce que c’est ça qui m’intéresse finalement, je me dis pourquoi c’est joué une centaine de fois dans cette manière là, c’est que ça saute dans les doigts, dans les oreilles, c’est ce qui paraît évident. Moi, ce dont j’ai envie, c’est de surprendre, et creuser pour savoir jusqu’où on peut aller, c’est ça qui m’intéresse. Des fois, je suis conscient que ce n’est pas vraiment possible, il y a des trucs, bah non, soit ça va trop loin, du coup ça ne sert plus la musique… Enfin c’est un compromis… J’aime bien trouver un truc où tu te dis, c’est marrant je n’aurais pas fait ça comme ça… ! C’est ça que j’aime bien, c’est de trouver un arrangement où je n’aurais pas fait comme ça.

An Tri Dipop

Par exemple, on joue une gavotte avec An Tri Dipop, en DADGAD, mais avec la corde de Ré basse descendue d’un ton, jusqu’au Do. C’est une structure normale de gavotte, AABB, donc si on compte 2 fois le cycle, ça fait AA BB AA BB. Du coup je fais un accord par couple de phrase (AA par exemple). Je fais donc tourner 3 accords, ce qui fait que la 4e cellule c’est le BB, c’est le début de ma grille… Donc ça se décale tout le temps comme ça. Cet arrangement là est donc basé là dessus. On s’arrête quand on veut et la dernière note est l’accord d’après. C’est donc un axe que j’ai eu en jouant… Au départ, j’avais trouvé 3 accords bien, et puis je ne trouvais pas de 4e, donc je me suis dit qu’il n’y avait pas besoin de 4e… Il y avait moyen de jouer avec ça, déjà ! Dans ce groupe, on se répartit de plus en plus la tâche avec la contrebasse, et en fait moi je fais des accords assez ouverts dans le sens harmonique où la basse va pouvoir faire plein de notes différentes.

Tes axes de recherche sont plus orientés vers l’harmonie, ou aussi la rythmique ?

C’est quand même plus centré sur l’harmonie. Je suis quand même assez régulier pour la rythmique. J’aime bien quand même partir du rythme de la gavotte, comme si je dansais avec médiator. Je reste quand même assez près des pas de la danse avec ma main droite. Après, la gavotte ce n’est pas mon terroir donc j’y suis moins à l’aise.

Il y a d’autres danses où c’est plus facile de développer des voix de guitare que sur la gavotte, par exemple ?

Pas plus facile forcément, mais je trouve que comme sur la batterie où la danse impose des contraintes, c’est pareil à la guitare, il y a des arrangements ou des idées de riffs ou de motifs que tu vas trouver en pensant à la danse, par exemple.

Luge

Entretien réalisé le 5 mars 2013 à Rennes.

Deux extraits de morceaux avec Tristan à la guitare:

Crédits photo : Sterenn An Nedeleg (batterie), Samuel Lagneau – Marshmallow photo (beatbox), Mark Kultajev (Artiti)

  1. qui nous a gratifié par ailleurs d’un beau questionnaire à la con et d’une très belle reprise de Balavoine… Cliquez sur le lien juste avant!