La Gavotte montagne au secours du bal trad

Rencontre avec Jason Loriot, fondateur du Think Tank « Dansa Nova ». Cet ancien d’HEC, par ailleurs titulaire d’un DESS Environnement, Aménagement du Territoire et Société, fin connaisseur des travaux de JM Guilcher, moniteur de danses traditionnelles a, semble-t-il, l’oreille du président Macron en matière de musiques et danses de tradition populaire. Il vient d’ailleurs de rédiger un rapport remarqué en haut lieu et qui risque de faire du bruit dans le Landerneau trad-folk, « La gavotte montagne au secours du bal trad, essai de socio-économie appliquée à un secteur en crise mais porteur d’avenir ».

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Docteur Masu : Bonjour Jason Loriot. Je ne vous cache pas que je suis très heureux de vous rencontrer, car vous êtes un acteur à la fois peu connu et pourtant majeur de la scène trad.

Jason Loriot : plutôt que de scène, je n’hésiterais pas à parler de « filière », tant, au-delà de mes goûts personnels, mais aussi pour leur donner un futur à la fois désirable et rationnel, j’ai dans mes travaux, et à travers ce think-tank que j’ai l’honneur de présider mais qui est animé par des sommités aussi bien musicales qu’organisationnelles, voulu me concentrer sur les aspects socio-économiques qui sont pour le moins centraux dans un contexte de globalisation économique tel que nous le vivons aujourd’hui, globalisation porteuse de craintes, je le conçois, mais plus encore de formidables espoirs et potentialités.

Docteur Masu : qu’est-ce qui vous a amené à ces questionnements ?

Jason Loriot : en même temps que d’être économiste et chercheur, je suis un praticien de danses traditionnelles. Je fréquente beaucoup les bals du grand massif central, de mon Morvan natal au Haut-Languedoc. Je connais aussi très bien la Bretagne et fréquente beaucoup les festoù-noz. Dans le massif central et le centre-France, j’ai remarqué que les organisateurs étaient soumis à un dilemme : le confort de l’expérience de danse ou l’équilibre financier. Alors qu’en Bretagne on pouvait cumuler les deux. Rien que cette année, par exemple, alors que je revenais du fest-noz de l’entre-deux fest à Poullaouen, qui fut un succès total comme à l’accoutumée, je lisais sur Facebook des plaintes sur les bousculades aux Trad’hivernales où le confort de danse fut victime du succès de la manifestation. Or il faut accepter que la tradition évolue et qu’elle est soumise aux aléas historiques. La solution était soudain évidente : la gavotte montagne est adaptée au contexte moderne de la danse trad, tandis que les mazurkas et autres bourrées ne le sont plus. Il est amusant pour l’ethnologue de noter que finalement, c’est bien dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, puisque c’est finalement une danse plus archaïque qui est le mieux ancrée dans la modernité. Mais on l’observe aussi en musique, où les formes plus épurées résistent mieux au temps que les formes trop maniérées.

La Nuit de la Gavotte, Poullaouen. On voit que l’espace est utilisé de manière optimale par les danseurs. A l’arrière plan, on aperçoit la buvette bondée. L’agencement des danseurs n’est guère étonnant pour ceux qui savent que non seulement les déménageurs sont bretons, mais également l’inventeur du Tétris. D’ailleurs quand on passe la bande son de Tétris à l’envers, on reconnaît aisément la Gwerz Skolvan de Mme Bertrand.

Docteur Masu : Oui, mais généraliser la gavotte montagne au détriment d’autres danses emblématiques de leur territoire risque de créer des résistances. Ne craignez-vous pas des violences ?

Jason Loriot : C’est bien sur une hypothèse que nous avons envisagée. Je tiens à préciser que nous travaillons en parfaite symbiose avec la ministre de la Culture, mais également avec le ministère de l’Intérieur.

Docteur Masu : les ministères !?

Jason Loriot : Je comprends votre étonnement. Mais croyez moi, le ministère de la Culture n’a jamais été sourd aux doléances du milieu trad. Mme Nyssen, comme en témoignent ses lunettes rondes et son goût pour les méthodes pédagogiques alternatives, fréquente bien évidemment les bals folks et se rend couramment à Gennetines. Le ministère manquait juste d’interlocuteurs raisonnables et conscients des réalités économiques. Même si le milieu a toute ma sympathie, on peut aussi comprendre les services de l’État, tant vous savez, comme moi, à quel point il est difficile d’avoir des discussions constructives avec des archéo-chercheurs psycho-rigides imbus de leur science, des musiciens professionnels un peu fainéants qui ont choisi le trad parce qu’avec 3 morceaux on peut faire une carrière, des porteurs de sarouel biberonnés au new-age bienveillant, ou ces paysans régionalistes un peu obtus, et autres joyeux drilles qui constituent, il faut bien l’avouer, le gros des troupes du milieu trad.

Pour revenir aux résistances, le ministère de l’Intérieur, qui s’intéresse au sujet parce que l’aménagement du territoire fait partie de ses compétences, mais aussi parce que nous sommes dans le contexte que vous savez et que l’État ne souhaite pas la création de nouvelles ZAD noyautées par l’ultra-gauche. Imaginez la Zad du Gamounet, ou les bonnets rouges de l’avant deux à Parthenay…. Nous avons donc réfléchi à des méthodes permettant de désamorcer les conflictualités.

Docteur Masu : Pouvez-vous nous en dire plus ?

Jason Loriot : Je ne peux pas rentrer dans tous les détails, mais je peux vous dresser quelques grandes lignes. Pour les risques de ZAD, on notera que les profils zadistes, en gros les porteurs de sarouel à dread-locks, sont peu attachés aux danses emblématiques des territoires. Leur truc, c’est la mazurka chamallow et le cercle circassien. Les profils sont  plus urbains et nous trouverons, dans les grandes métropoles, des salles capables de les accueillir en grand nombre. On ajoutera qu’ils sont assez peu dérangés par la promiscuité, donc je ne crois pas que nous aurons des problèmes avec eux.

Ma grande crainte est une alliance des néo-ruraux ancrés avec les paysans conservateurs. Je pense qu’ici, ce sont les mesures compensatoires qui peuvent nous aider à nous sortir du guêpier. Je vais illustrer mon propos. Sur les rassemblements d’importance, dans les salles de bal situées à proximité de grandes villes, je pense au Gamounet par exemple, on ouvre les vannes en grand et on danse la gavotte. La rentabilité financière étant au rendez-vous, on prélève une taxe pour des mesures compensatoires qui nous permettront de maintenir la bourrée dans des territoires plus déshérités et sans avenir, je pense au Cantal ou au Morvan, par exemple.

Le chapiteau à Comboros. Beaucoup d’espace inutilisé, ce qui n’empêche pas les bousculades. Le flou traduit le bordel ambiant. Pas de buvette à proximité.

Docteur Masu : je me permets de trouver vos solutions un peu « hors-sol », un peu déconnectées des réalités du terrain. Je sais par exemple qu’un des lieux emblématiques de la bourrée en Auvergne a connu des troubles géopolitiques d’importance dernièrement et que vos travaux n’y sont pas étrangers.

Jason Loriot : oui, je vois très bien de quoi vous parlez, mais vous me permettrez de ne pas commenter trop précisément afin de ne pas attiser ce feu qui couve, mais qui n’est, j’en suis persuadé, qu’un petit aléa dont nous devrions parfaitement venir à bout. Mais il est vrai que nous avions un président ouvert à nos propositions et qu’il a été victime d’éléments putschistes fanatisés. Mais j’ai toute confiance dans le bon sens des populations et nous espérons bien désamorcer ce conflit. J’y travaillerai donc à Comboros. Nous ne reculons pas devant nos responsabilités, parce que notre projet, c’est le développement des danses trad.

Docteur Masu : Jason Loriot, je vous remercie et je vous souhaite le succès, parce que votre succès sera celui du trad auquel nous sommes attachés.

 

Crédit photo : Eric Legret et Docteur Masu