La guitare en musique bretonne (5) : entretien avec Roland Conq

Voici le troisième des entretiens présentés en 2013 par Heikki Bourgault dans le cadre de son mémoire consacré à « la pratique actuelle de la guitare et de l’instrument accompagnateur en musique bretonne ». La démarche générale, notamment autour du support utilisé pour aborder la pratique de l’instrument, a été présentée précédemment.

Ces entretiens ont été réalisés il y a 6 ans environ ; merci de garder à l’esprit que chacun des intervenants a nécessairement fait son chemin depuis, et qualifierait peut-être les choses autrement maintenant.

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Acteur des transes nocturnes bretonnes depuis le début des années 90 au sein du groupe Kurun puis de Filifala, Roland Conq met aussi ses compositions en valeur au sein du Roland Conq trio. Il joue également en duo avec Arnaud Ciapolino, Ronan Pinc, Morwenn Le Normand et dans des groupes dont Alambig Electrik et Feiz Noz Moc’h (rencontre Gasco-Bretonne). C’est pour son jeu aux multiples facettes, notamment l’aspect mélodiste virtuose qu’il présente dans son trio, que j’ai souhaité le rencontrer…

Salut Roland, pourrais-tu m’expliquer comment tu es arrivé à la musique ?

J’ai commencé la guitare vers 10 ans, en cours classique. Un an de solfège avant et puis 3 ans de guitare classique. Parallèlement, je suis entré au bagad de Concarneau où j’ai appris la cornemuse pendant 10 ans, donc à peu près jusqu’à mes vingt ans… J’avais arrêté la guitare et j’ai vraiment repris en autodidacte la guitare folk et électrique, ainsi que la basse électrique .

Il y a des musiciens dans ta famille ?

Non, pas du tout… Ils écoutaient un peu Tri Yann et les Sonerien Du, grosso modo.

C’est donc vraiment avec le bagad que tu as découvert cette musique ?

Oui, c’est comme ça que j’ai découvert Gwerz, Barzaz, c’était l’époque où tout ça sortait. Les premiers festoù-noz se sont faits comme ça aussi. Mes parents participaient quand même au comité de jumelage avec l’Irlande, à l’amicale laïque, aussi, donc il y a eu des festoù-noz et des concerts d’organisés. Il y avait donc quand même un petit lien.

Tu as commencé avec le fest-noz ?

Non, j’ai plutôt fait du rock jusqu’à 18-19 ans. Et puis, lors de mon service militaire (en fait, j’étais objecteur de conscience), j’ai rencontré Patrice Sicard, qui était avec moi aux archives départementales de Quimper. Il travaillait là-bas en tant que photographe, et il savait que je faisais de la guitare donc j’ai été embauché dans ce groupe là, et j’ai commencé plus par la musique irlandaise. Ensuite, j’ai rencontré Yann-Fanch Le Coz qui cherchait à monter un groupe de fest-noz. C’est devenue le groupe Kurun, qui a été ma première expérience de cette scène-là. Avant, j’avais des groupes avec des potes de rock alternatif, trash métal… Mais tout en jouant de la cornemuse, donc j’ai toujours eu un lien avec la musique trad quand même.

Filifala

Tu as tout de suite commencé avec l’accord ouvert pour la musique irlandaise ?

J’avais découvert l’accord ouvert par un morceau de Pierre Bensusan, « Voyage pour l’Irlande », et donc j’avais compris le lien avec la musique traditionnelle et je m’y suis mis. Dans le groupe de musique irlandaise, j’ai commencé en accord ouvert. J’ai aussi fait un stage avec Soïg Sibéril sur une semaine… et à partir de là, j’ai toujours joué en DADGAD.

Tu continues à jouer en standard ?

Alambig Electrik

Non, pas du tout, ou juste en soirée pour faire le con… ! J’ai vraiment laissé tomber. Disons que, par rapport à la musique que j’ai envie de faire, ça va. À un moment, je suivais un atelier jazz, en accordage standard pour le coup, mais je voyais plus ça comme un loisir et c’était plus pour comprendre les fonctionnements de l’harmonie jazz. Ce n’était pas pour se remettre au standard… Après, j’aimerais bien, mais je trouve qu’il y a déjà assez de boulot avec l’open tuning ! Et puis, il y a toujours le capo qui peut apporter des solutions. Je ne l’utilise pas trop… Pour toutes les tonalités voisines de Ré, je ne vais pas l’utiliser. Je n’ai pas vraiment une approche modale de l’accord ouvert, j’essaie d’être un peu entre les deux… Utiliser les cordes à vide, sans pour autant changer de capo à chaque changement de tonalité… Après, tout ça ce sont des choix…

Si tu es en position d’accompagnateur, tu as une méthode pour procéder ?

Ça dépend des musiques, mais les airs sont souvent assez simples, et j’essaie plus de penser à des ambiances. Et concernant la musique irlandaise par exemple, où il y a plus d’informations, je vais prendre le thème d’abord et je l’accompagne spontanément comme si je le jouais mélodiquement. Ça dépend aussi des formes orchestrales, mais c’est vrai que je me laisse beaucoup de liberté lorsque je suis le seul à accompagner. Plutôt que d’apprendre une grille, je vais plutôt apprendre le thème et puis tourner autour… Si ce sont des airs que tu joues souvent, les choses se fixent. Sinon, je peux passer par l’écrit si les choses me paraissent compliquées… Par exemple, on avait joué un air écossais, un air asymétrique de cornemuse, et donc là j’ai tout décortiqué. Donc ça dépend vraiment des cas, mais en général, si je suis le seul accompagnateur, j’essaie de garder beaucoup de spontanéité.

Et est-ce que l’harmonie est quelque chose que tu maîtrises ?

Non…Disons que je cherche… Soit ça vient spontanément, soit je vais décortiquer un petit peu si vraiment il y a un truc qui paraît bizarre… Après, j’ai des bases de solfège, mais c’est par moi même que j’ai appris, notamment par cet atelier jazz, et puis j’ai feuilleté un peu des bouquins… Ceci dit, la vision harmonique du jazz ou de la musique classique, ce n’est pas forcément toujours adapté. La musique traditionnelle part quand même d’un bourdon, et c’est un peu comme des déclinaisons… Moi, ça ne me dérange pas d’accompagner un thème avec un seul accord, en mettant des intentions… Mais j’ai eu toute une période, lorsque j’allais dans les ateliers jazz, où je voulais mettre des accords diminués tout le temps partout. J’en suis un peu revenu, même si je pense que ça peut être intéressant parfois.

On joue ?

Souvent, le départ c’est de repérer la tonalité. Ça, ce n’est pas trop dur. Et puis après, je repère le thème. Donc là, le thème de gavotte, je le pensais vraiment en Si mineur. Des fois, j’aime bien essayer de changer le bourdon, de le changer en Mi, de vraiment insister sur le Mi, et puis après revenir sur des accords un peu clé qui suivent la mélodie.

Et au niveau du rythme ?

Ha ! Surtout sur la gavotte, je vais alterner beaucoup entre le binaire et le ternaire. J’essaie de beaucoup jouer là dessus. La rythmique, c’est toujours ce qu’il y a de plus difficile à expliquer.

As-tu des schémas en tête pour les danses en général ?

Franchement, pas vraiment. Ça dépend de plein de choses, surtout des gens que tu accompagnes. Il y a des gens qui vont jouer très binaire, d’autres très ternaire, d’autres entre les deux. J’essaie vraiment d’écouter, de me coller avec ce qui se passe, un peu dans l’idée d’un biniou qui va suivre ce que le soliste fait. C’est vrai que j’aime bien les formules duos, en musique bretonne, je trouve ça vachement sympa. J’aime bien jouer dans des groupes aussi, mais je ne vais pas concevoir la chose de la même manière. Ce que j’essaie de faire, c’est de concevoir la main droite comme un piano, tu as les basses, les médiums et les aigus. C’est plus ou moins de l’arpège, aussi. Il y a aussi beaucoup d’automatismes… Pour ce morceau, ça peut être aussi l’idée de partir en Sol… Je sais que c’est en Si mineur, donc si je pars en Mi mineur ça va le faire, si je pars en Sol ça va le faire aussi. Je vois pas mal les choses comme ça, surtout dans les petites formules. Ceci dit, je ne suis pas contre l’arrangement du tout, ça peut être bien ! On a un instrument d’accompagnement, qui peut aussi être soliste, mais pour moi ça reste quand même d’abord un instrument rythmique. Je m’éclate bien avec Alasdair White et Arnaud Ciapolino dans ce rôle d’accompagnateur quand ça bastonne bien, ça défoule bien !! Le finger picking, j’aime aussi beaucoup parce que je trouve que c’est un rapport avec le son de l’instrument dans lequel tu peux trouver beaucoup de nuances. Là, tu peux jouer tout seul et trouver des trucs vraiment sympa. Souvent, quand je prends ma guitare quand je suis tout seul, je vais plutôt jouer aux doigts. C’est une partie de l’instrument que j’aime bien, vraiment.

Entretien réalisé le 23 janvier 2012 à Kervignac.

Crédits photos : Norbert Fest-Noz (couverture), Didier Beunas (solo chapeau)