On était à Cavan, le 22 décembre 2018!

Les traditions, c’est comme les chasseurs : il y a les bonnes et les mauvaises. Et celles qu’on s’invente sont parfois préférables à celles qu’on maintient bêtement en état de semi-mort clinique, dans le formol boiteux des bals de musée. Dans cette jolie catégorie des traditions qu’on aurait eu tort de ne pas créer, il y a le fest-noz de Noël de Cavan. Un rendez-vous aussi inmanquable que réussi. Comme c’est fragile, ce genre de choses, on s’est fait fort d’aller vérifier la vitalité du machin.

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Bon, on va être honnête : indépendamment de l’affiche, on se réjouissait de toute façon à l’avance de renouer avec cette belle institution trégoroise qu’est le fest-noz de Noël à Cavan. Comme il se trouve que, dans ces coins là, on a encore le sens de la culture populaire, la soirée a pour habitude de s’intégrer à un ensemble de manifestations festives de fin d’année, musicales ou pas, plus ou moins familiales, pilotées par Ti ar Vro. Et c’est tout un état d’esprit, qu’on retrouve dans des affiches décalées avec les gens du coin mis à l’honneur, et des idées parfois joyeusement saugrenues. Ainsi, un an sur deux, la programmation du fest-noz est intégralement constituée de formations tirées au sort parmi les musiciens s’étant portés volontaires. Mais pas cette année ; là, on était dans une configuration où le fest-noz est placé sous le « parrainage » d’un groupe associé à l’organisation et la programmation de la soirée. En l’occurrence, il s’agissait des jeunes indigènes de Zoñj, qui fêtaient là en terre natale la sortie de leur premier album (par ailleurs très réussi).

Les ambiances festives de Cavan font depuis longtemps parler d’elles, avec raison. Force est de constater que les fondamentaux sont toujours là. Les gens y viennent autant pour causer au bar et se voir, entre amis ou en famille, que pour danser. On est là pour faire la fête, tout simplement ; il se trouve qu’ici, ça passe notamment par la musique et la danse traditionnelle, parce que ce sont des expressions cohérentes d’une culture populaire qui trouve encore le moyen de s’incarner spontanément dans la vraie vie. Il y a du danseur, trad ou folk, jeune fougueux ou vieux briscard, du gamin qui court partout, des gens qui ne décolleront pas de la buvette, mais tout ça forme un tout qui sait se réjouir d’être ensemble. Et j’aime mieux vous dire que ça ne sent pas le moisi et l’entre-soi (ce qui arrive partout dans le milieu fest-noz, hein, en Trégor aussi…). Toujours est-il qu’on s’y sent tout de suite bien, que la bière est bonne (ah, la Philomenn…), pas chère et servie par des gens qui seront peut-être sur scène dix minutes plus tard. Bref, un écosystème avec de la cohérence, de la bouteille et de l’envie.

Tôt c’est déjà un peu tard, car même en arrivant à 21h, on se rend compte que les hostilités ont déjà commencé. Et écouter le duo Kerno-Clérivet gavotter de la quadrette, c’est aussi l’occasion de constater qu’on danse aussi mal l’avant-deux en Trégor que la gavotte à Rennes. Bravo aux quelques danseurs motivés et ouverts qui s’y sont essayé, ceci dit. On aurait d’ailleurs pu déplorer que la seule incursion authentiquement haute-bretonne ait été glissée en tout début de fest-noz, mais pas du tout ; placée ailleurs, elle aurait vraiment fait tâche, tant le reste de la soirée était en tous points un pur produit de « la scène cavanaise » ou, disons, trégoroise.

Qu’il y ait une forte identité dans les parages, et que cette identité ait fait école sur la scène fest-noz dans sa globalité, ce n’est pas nouveau. En termes d’identité et d’esthétiques, il est clair que certains partis pris, certaines manières de faire swinguer, sans pour autant donner dans l’académisme fermé, ont vraiment fait école depuis une dizaine d’années sinon plus. La programmation de la soirée donne un éclairage actualisé et un peu différent à ce constat, sans doute en raison des choix du groupe mis à l’honneur. Depuis longtemps, nombre de jeunes musiciens trégorois en étude à Rennes y trouvent un lieu d’émulation autant qu’un terrain d’expression, voire une tête de pont culturelle. Mais on observe clairement ce soir à quel point l’appartenance de beaucoup d’entre eux au cursus du Pont Supérieur de Rennes commence à être déterminant. Car à écouter les différentes formations invitées à se produire, on ne s’étonne guère de relever la prééminence de certains partis pris harmonisants et « de bon goût », dont les précédentes générations émergentes semblaient davantage affranchies. Ceci dit, qu’on ne se méprenne pas, le résultat est souvent très cool. Mention spéciale, par exemple, au trio Modcozmik, particulièrement intéressant. Et par ailleurs, étonnamment, Zoñj parvient relativement bien à déroger à ce consensus général, à développer une voie personnelle qui ne cède pas au formatage, ce qui laisse entrevoir décidément une belle identité en construction. De même, une formation comme War-Sav est à bien des égards salutairement hors format et reste une des incarnations souriantes d’une vitalité locale indéniable.

Au milieu de « jeunes aînés » comme Le Bour/Bodros ou Le Gall-Carré/Moal, s’affirme ainsi une cohérence dans la richesse des propositions. Au milieu de tout ça, on saluera l’ovni total et jouissif de l’Expédition Côtes du Nord, aux antipodes joyeux du reste, avec son gorille à cigare, sa distribution de bolées à la cantonade et son mode sonneurs festifs 100% frères Cornic. Une manière de rappeler, à coups de costume colonial et de sourire en coin, que le trad et la fête ne font jamais aussi bon ménage que quand ils savent mélanger sérieux et n’importe quoi, référencé et instinctif, imprégnation bon enfant et maitrise de « connaisseur » d’une culture populaire qui ne doit jamais cesser d’être accessible pour que chacun se l’approprie. Merci Cavan, on se serait cru à Noël.

photos : Serge Le Berre (beaucoup d’autres belles photos dans son album sur sa page facebook)