Alors voilà, tout est dans le visuel qui orne splendidement cet article un brin ronchon. Il y a un an et demi environ, parmi les tous premiers articles d’IciBal! figurait un pied de nez espiègle à l’approche « celtisante » de l’identité culturelle bretonne. Par l’humour, on entendait pointer assez sérieusement les incongruités et les dégâts induits par cette vision aussi fictive que contre-productive. Mais là… là, on va laisser l’humour et la légèreté qu’il suppose.
Précisons d’emblée qu’il ne s’agit (très sincèrement) pas de s’en prendre au Festival Interceltique en tant que tel. Il nous arrive de le fréquenter, de le prendre comme tel, et de constater/profiter de l’émulation qu’il représente. C’est un formidable rendez-vous annuel qui génère convivialité, rencontres, partages et, aussi bien à l’espace Bretagne qu’à la salle Carnot ou en des endroits « off » (dont l’évidente et indispensable taverne du Roi Morvan), on y trouve des moments de danse bien loin des grand’messes celtiques qui contentent d’autres publics. Non, vraiment, là n’est pas complètement le problème. Le FIL qui vient de se terminer a montré une fois de plus qu’il y en a (presque) pour tout le monde, et ce, de manière très accessible.
On a déjà démonté la création ex-nihilo du monstre sympa qu’est la « celtitude« , dont le FIL est l’évidente tête de gondole, avec ses outrances mercantiles ordinaires, ses vitrines folklorisantes d’un autre temps mais toujours plébiscitées. Cette année, le dragon gallois était à l’honneur. Que dire d’autre qu’il commence sérieusement à se mordre la queue?
Je ne sais pas vraiment d’où sort ce visuel (même s’il comporte le logo du festival), ni de quand il date. Il est passé sur internet, sans contextualisation. Mais il est, malgré tout, assez explicite. Les « nations » celtes1 côtoient désormais les « diasporas » celtes. On avait déjà eu la bonne rigolade de voir débarquer l’année de l’Australie, mais là on constate qu’on entend mettre à l’honneur les Celtes du Mexique, d’Argentine, de Cuba, du Chili… Bref on ouvre de nouveaux marchés, de nouveaux territoires pour faire respirer l’écosystème des « nations » qui tourne un peu trop en rond, sans doute2. Alors on ne peut pas dire « nation » pour tout et n’importe quoi, hein, donc on dit diaspora. Mais les gars, si vous voulez parler de diaspora bretonne par exemple, faites l’année du Périgord, renseignez vous, ce serait autrement plus pertinent et il y aurait de la matière! Et si on part sur les diasporas irlandaises, ah ben là c’est open bar, hein, l’Irlande ayant été le tiers monde de l’Europe pendant au moins 150 ans, forcément les Irlandais sont allés un peu partout.
Que signifie cette manière d’aller chercher des connexions là où elles sont toutes sauf évidentes (j’attends de voir comment on va me montrer à quel point la celtitude a marqué l’identité culturelle cubaine…), tout en tournant obstinément le dos à des connexions authentiques, réelles, toujours tangibles et faciles à réactiver… avec des régions de France? Qu’est-ce que ça dit du dogmatisme culturel du « milieu breton » ou bien, plus pragmatiquement, du « potentiel de comm' » de la marque « celte »? On va donc continuer de manière aussi ridicule et éhontée à « faire comme si », quitte à pousser le bouchon toujours plus loin?
Miser sur l’inculture des gens qui s’intéressent à ces musiques et ces danses sans voir qu’elles n’ont rien à voir entre elles, en attendant qu’à force de jouer des polkas à l’irlandaise, des cercles circassiens à l’irlandaise, voire des an dro à l’irlandaise3, on finisse par la créer, la bonne soupe déracinée hors sol estampillée « celte », c’est dangereux.
Si on veut sauver le soldat fest-noz, plutôt que de mépriser le public brassé des bals à touristes estivaux, on ferait bien de s’interroger sur des démarches qui confortent le communautarisme le plus idiot (car pas du tout fondé historiquement) en tournant le dos à de vraies passerelles culturelles qui pourraient être bénéfiques, voire salutaires. Mais non, allons plutôt à la découverte des diasporas, allons, ça va être rigolo…et pittoresque. C’est le principal, non?
- « nation », un terme très connoté et très daté mais, comme souvent avec l’identité culturelle bretonne, pas démenti par ses acteurs ↵
- « C’est quoi l’année prochaine, la nation mise à l’honneur? Encooooore la Galice?? » ça marchait aussi avec le Pays de Galles cette année, hein, c’est pas pour critiquer les Galiciens, peuple éminemment noble et respectable. ↵
- Ne gloussez pas, sinon on donnera des exemples… ↵