Après un temps de pause estivale, voici le cinquième et avant-dernier des entretiens réalisés il y a 6 ans par Heikki Bourgault dans le cadre de son mémoire consacré à « la pratique actuelle de la guitare et de l’instrument accompagnateur en musique bretonne ». La démarche générale, notamment autour du support utilisé pour aborder la pratique de l’instrument, a été présentée précédemment.
Ces entretiens, comme autant d’approches possibles du rôle de guitariste en musique bretonne, sont relativement anciens, même s’ils ne sont restitués ici que maintenant ; merci de garder à l’esprit que chacun des intervenants a nécessairement fait son chemin depuis, et qualifierait peut-être les choses autrement maintenant.
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Yohann a fait partie de l’aventure de Yudal Combo et de Triad dans les années 2000, puis a participé aux groupes Breizh Asturie Project, Dam’Fonk et Majañ. Il joue actuellement dans d’autres horizons musicaux avec la fanfare électrique Out Of Nola et le spectacle de danse Kirina de Serge Aimé Coulibaly et Rokia Traoré. Yohann et moi étions tous deux professeurs de guitare à l’école de musique traditionnelle du Sel de Bretagne il y a quelques années. Il propose un regard ouvert sur la pratique de la guitare, il joue dans des formations aux esthétiques musicales diverses. C’est avec grand intérêt que je le rencontre dans un autre cadre à présent.
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Comment en es-tu venu à la guitare d’une part, à la musique bretonne d’autre part ?
J’ai un père prof de musique et guitariste, il y avait des guitares à la maison, donc j’ai choisi l’instrument qui était sous la main. Et la musique bretonne, c’est vraiment l’ambiance du fest-noz qui me plaisait. Après, le lien avec l’instrument et la musique trad c’est vraiment l’accord ouvert. Ce sont des accords que je trouvais hyper beaux. La première fois que j’ai compris qu’il s’agissait d’un accordage différent, c’était en entendant David Le Port dans un de ses premiers groupes, faire une harmonique à vide pendant le line check, alors tout de suite tu entends que ça n’est pas du standard ; ça m’a beaucoup interpellé ! C’est quoi ce truc ?? Et puis il y avait Jean-Charles Guichen ensuite en 2ème partie avec Ar Re Yaouank et ça m’a tué !!! Après j’ai beaucoup repiqué Nicolas Quéméner, dont j’admire autant la modestie que la musicalité, et beaucoup écouté Gilles Le Bigot, Soïg évidemment, Franck Le Bloas, Yvon Rioux, Ronan Pellen, Roland Conq, le guitariste de Hastañ, et Jacques Pellen bien sûr et toujours aujourd’hui d’ailleurs… Mes héros de l’époque !
À la fac, j’étais dans la même promo que le talentueux Erwan Bérenguer. On est vite devenus amis et on a fait un trio de guitare ensemble (Triad) avec Armel Olivier ; du coup, comme on jouait principalement ses compos, il m’apprenait ce que je devais jouer, donc c’était un peu comme des cours, en fait. Ce sont vraiment eux deux qui m’ont initié à la guitare en accord ouvert. C’est tellement plaisant trois guitares en DADGAD, ça sonne tout de suite! Même quand tu es débutant en DADGAD tu peux triper sur juste la corde de sol par exemple et t’es déjà embarqué ! Et puis, j’ai toujours été touché par les beaux accords, même avant d’écouter du jazz, et l’open pour moi c’était un moyen de faire facilement des accords que je trouvais incroyables. Ça m’a tout de suite parlé. Je traînais dans les fest-noz vers 15-16 ans, en même temps que j’ai appris la guitare, et je me suis mis à l’accord ouvert vers 18 ans. Je n’étais pas un mordu de fest-noz, mais c’est vraiment arrivé à Rennes que j’ai baigné là-dedans. Avec Erwan et Armel, on a tout de suite fait des concerts… sans m’en rendre compte, je prenais des cours, j’écoutais des disques, je repiquais des plans, beaucoup de Jean-Charles Guichen, c’est un peu le Kurt Cobain de guitare bretonne on commence tous par ça et puis quand on réécoute des années plus tard, on se dit qu’on devait être loin du compte !!!… et Nicolas Quémener, c’est venu un peu plus tard… Le cd Kerden, le rassemblement de tous les maîtres! je l’ai écouté en boucle !! à cette époque, j’ai remplacé Erwan qui jouait en duo avec Audrey Le Jossec. C’est vraiment avec elle que j’ai commencé à comprendre la notion de swing, comme ce que l’on peut voir et ressentir en irlandais ! A force de jouer avec elle, il y a des choses qui se sont décoincées, mettre moins d’accords au profit de la main droite.
Joues-tu différemment dans les diverses formations auxquelles tu participes ?
Dans des fanfares, au banjo 6 cordes, l’apport de la musique bretonne est toujours là, avec la rythmique main droite, où il faut envoyer ! Dans le Breizh Asturie Project, c’est une approche électrique de la guitare, ludique qui plus est, avec pas mal d’effets… Donc c’est un autre univers, c’est rigolo. La notion de danse est plus assurée par les sonneurs, et par basse/batterie. Quand je vais composer, ou faire un arrangement, je vais tenir compte de la danse, mais sur scène dans ce projet ce n’est pas moi qui assure cet aspect là au premier plan, ce sont surtout les mélodistes et basse/batterie.
Il y a eu aussi le trio Majañ, avec Pierre Cadoret et Benoît Volant, où là c’est un peu un retour aux sources car ce sont tous les deux des super sonneurs. La première fois que je les ai entendus, ça m’a fait penser à Pennoù Skoulm, et lorsqu’ils m’ont filé leur démo en duo, je ne m’en lassais pas… Ils font beaucoup d’irlandais donc ils sont très forts pour être à l’unisson et faire les mêmes variantes ou des variantes qui se complètent… Après, je me suis mis au jazz grâce à la musique bretonne, pour enrichir les accords, et commencer à comprendre… Là, tu te rends compte que c’est beaucoup trop dur à faire en accord ouvert, du coup tu essaies de faire sonner l’accord ouvert en standard… et puis finalement je me suis mis à l’accord standard ! Maintenant, j’essaie de faire sonner l’accordage standard en ouvert !!
Avec ton trio, tu joues en standard ou en DADGAD ?
Non, en standard.
[écoute de la gavotte]
Ah ! Dibenn ! C’est le truc qui m’a tué aussi, j’ai surkiffé ce groupe ! J’ai l’impression qu’elles modulent …[les chanteuses sur l’enregistrement – ndla] Tu peux remettre l’appel ? Ah ouais, elles ont gagné carrément un ton ! C’est hallucinant ! Souvent avec les chanteurs, bretons ou autres, la tendance est plus naturelle à descendre, et là avec l’énergie, elles montent !! Pour l’accompagnement guitare, je ne sais pas, sur l’appel mettre une rythmique, peut-être… Déjà ces couleurs là, et puis après à force de jouer, trouver d’autres couleurs… Peut-être un truc comme ça, un peu trip-hop ? Pas forcément partir sur un rythme de gavotte… Après j’essayerai de trouver une ligne de basse…
Tu choisis de partir sur autre chose qu’une rythmique de gavotte standard…
Je peux me mettre en accord ouvert et faire ça, mais bon… c’est une question de goût… ça je l’ai fait avec tous mes premiers groupes, et j’aurais du plaisir à le refaire maintenant, mais aujourd’hui mes goûts iront naturellement vers autre chose…
Pourquoi tu pars sur cette rythmique en particulier ?
Parce ce que c’est ce que j’entends dans la voix, au niveau de l’appel, j’ai entendu du blues un peu, un truc pas breton un peu… comment dire… tu vois par exemple Moby qui a fait un tube en électro avec un sample de blues. La chanson à la base n’a rien à voir, et c’est un truc qui a été enregistré début 20e siècle dans une prison ou je ne sais pas où, par les frères Lomax qui ont fait du collectage. Lui, il retrouve ça un siècle après… et c’est le même genre de démarche, là dans ce qu’elle fait il y a un truc lancinant un peu, et ça m’a fait penser à du trip-hop… mais c’est très subjectif encore une fois, il y en a d’autres qui pourraient penser du flamenco, tu vois… enfin, dans mes goûts actuels ça m’évoque ça.
Tu as des méthodes de travail ?
Déjà je cherche la tonalité… en Ré majeur… Et du coup, je suis parti sur le relatif mineur, je l’entendais comme ça, parce que c’est plus lancinant de le faire en mineur. Si tu le fais en majeur, c’est moins mon truc, c’est joli tout plein, mais la façon dont je le ferais ça risque d’être plus dédié à passer dans un ascenseur !!!… Encore une question de goûts… Par contre cette couleur, là, je la mets quand même dedans mais plus tard, ou inversée, et du coup ça va dans la ligne de basse… Après, ça dépend du groupe dans lequel tu joues… Mais souvent, j’accorde beaucoup d’importance à la basse, en fait. Là, j’ai trouvé à peu près tous les accords principaux autour desquels j’allais tourner, je ne sais pas si l’ordre va rester comme ça… Il y a aussi un truc qui peut être vachement important, c’est les histoires de tension/résolution, c’est-à-dire que la phrase A est en tension, et la phrase B peut résoudre… ça peut être une façon de les différencier et qu’elles se relancent l’une l’autre. Comme il y a une sorte de refrain, un truc qui revient… Le B amène le A, le A amène le B, les deux se répondent et se font attendre mutuellement. En tout cas sur l’appel j’aurais tendance à faire ça, après une fois que la rythmique est lancée, je ne sais pas trop… Du coup, j’ai pris la première phrase en éolien, avec une sixte mineure, c’est-à-dire avec un Sol bécarre. Dans la deuxième phrase, on peut y mettre une sixte majeure, avec un Sol#, car cette note n’est pas dans le thème.
Donc tu situes bien à chaque fois où tu es, en termes d’harmonie ?
C’est surtout que tout ce qui sonne est explicable, donc forcément tu tombes dedans. Si ça sonne bien, tu peux l’expliquer avec une règle classique, je pense…
Est-ce que tu aurais des plans d’autres morceaux que tu aurais à m’expliquer ?
Sur les harmonies, je ne pense pas à quelque chose que tu ne connaisses pas déjà… Il y a des trucs qui marchent bien, en accords.. Par exemple, tu es en Si mineur, là, donc tu prends la tierce majeure en dessous comme basse, ça te fait un accord qui est un peu tendu. Pat Metheny fait pas mal de trucs comme ça… Du coup, les deux accords peuvent s’échanger, ça ouvre un peu les plans. Et ça, je l’utilise hyper souvent, c’est un peu une recette car en standard je n’ai pas autant de réflexes qu’en DADGAD dans les bœufs.
Pour toi, la basse est vraiment importante ?
Ah oui, carrément. Quand je compose pour un groupe où il y a plus de monde, je commence quasiment tout le temps par la basse. Après, quand j’ai des idées sur les accords, je vais là-dessus… C’est la base… enfin, c’est une méthode comme une autre. Après, il y a plein de clichés qu’il ne faut pas hésiter à utiliser, sans tomber dans le lourd. On avait échangé avec mon prof de jazz à Saint-Brieuc, Jean-Philippe Lavergne, sur les façons d’harmoniser la musique bretonne et il disait que la musique tonale sur de la musique modale, ça ne le tentait pas trop… Et depuis, j’ai arrêté de faire des grilles de jazz tonal sur du breton, parce qu’en fait je trouvais qu’il avait raison ! Comme je te disais tout à l’heure, des suites d’accords très enrichis sur des rythmiques un peu transe, c’est pas forcément la solution la plus évidente et du meilleur goût… ça peut marcher si tu trouves l’arrangement qui tue à ce moment là, c’est toujours du cas par cas. Certains le font d’ailleurs merveilleusement bien comme R. Becker et R. Huiban. Mais on oublie souvent qu’un bon Ré mineur tout simple qui dure, peut très bien marcher aussi, après j’aurais sûrement tendance à le faire à la Ali Farka Touré ou à la James !…
Deux extraits de morceaux avec Yohann à la guitare :
- Yudal combo « D’an traoñ ar gant c’hoadoù pa’z an » (composition A. Guguin/Y. Le Ferrand)
- Majañ » Backto Bamak – scottish » (composition Y. Le Ferrand)