Comme chaque fois que quelque chose de discrètement décisif arrive, on oublie vite qu’il y a eu un avant, et qu’on fonctionnait « sans ». Depuis fin janvier CanalBreizh est là, webradio à temps complet, 100 % musique bretonne, là où jusqu’à présent il n’y avait qu’un vide. Et mine de rien, la radio promet d’être une vitrine inestimable pour cette culture musicale, aussi riche et foisonnante qu’invisible dans les massmedia (et, du coup, dans le quotidien des gens, bretons ou non). A l’origine du projet, les associations Dastum et Tamm-Kreiz se sont employées à prendre appui sur l’incroyable collection numérisée par Louis Ramin, jusqu’alors écoutable par extraits sur son site NozBreizh. Le résultat d’un boulot énorme est désormais à portée d’oreilles 24h/24, partout dans le monde.
Et c’est un outil terriblement bien pensé, parce que basé sur la convergence des contenus. Ainsi, quand un titre passe, on a non seulement les références du disque et des artistes, mais aussi (quand ces derniers se produisent encore), leurs prochaines dates pour aller les voir ou, pour les programmateurs, le moyen de les contacter.
Et, bien sûr, les inspecteurs des travaux finis commencent déjà à dire que CanalBreizh n’est pas assez ceci ou trop cela, ce qui est toujours bon signe et montre que, maintenant qu’elle a le mérite d’exister, cette radio est un enjeu pas négligeable, qu’elle présente un intérêt et porte une identité à discuter ensemble.
Et ça tombe bien, on en parle avec Stéphane Julou et Jérôme Floury de Tamm-Kreiz.
À quand remonte ce projet de web radio? D’où vient l’idée, l’envie?
Jérôme : Depuis longtemps, on voulait monter une webradio pour diffuser de la musique, dès 2002-2003 ; nous avions même fait les démarches à la SACEM, dont le coût était à l’époque exorbitant. Faute de moyens techniques et bénévoles, on avait abandonné. On a refait sortir des cartons ce projet il y a presque 2 ans, en se disant que ce serait génial de le faire avec Dastum, et de valoriser différemment le travail de Louis, dont le site (nozbreizh.fr), hébergé par TK (et qui permettait notamment d’écouter des extraits des disques de chaque artiste sur la fiche TK de ceux ci NDLR).
Ça a été d’emblée la piste privilégiée, de se servir de cette base là?
J: Oui, car on savait que tout était déjà numérisé.
L’impulsion vient de TK au début, ou bien c’est vraiment une association d’envies communes avec Dastum et/ou Louis dès le départ?
J: C’est une proposition que TK a faite à Dastum et à Louis, qui ont dit oui.
En tout cas, ça représente beaucoup de boulot. Quelles ont été les différentes étapes du projet? Parce que, mine de rien, ça a avancé vite… Deux ans, c’est finalement assez rapide.
J: Il y a d’abord eu la phase d’étude de faisabilité, pas vraiment au niveau technique, mais au niveau administratif : défricher tout le mille-feuilles français au niveau des droits, SACEM, CSA, sociétés de producteurs… poser les bonnes questions à des grandes webradios pour avoir une vision plus claire de la faisabilité administrative. Une fois tout ça fait, on s’est penchés sur le volet technique.
Au niveau administratif et juridique, ça s’est révélé plus compliqué que vous pensiez, ou au contraire plus simple?
J: On est en France, ce n’est JAMAIS simple.
Stéphane : C’est clair.
J: Une alternative possible était de s’affranchir de tout ça en ayant recours à Radionomy (société belge qui soit-disant gère tout), mais on a préféré se soumettre aux contraintes françaises.
Pour ce qui est de la mise en place technique, ça s’est passé comment?
J: Il a d’abord fallu changer de serveur pour héberger Tamm-Kreiz, parce que, dessus, il n’y avait « que » les MP3 en version 30 secondes. On a donc agrandi le disque dur pour recevoir tous les MP3 en taille complète. Ensuite, on s’est mis à la recherche d’une solution gratuite de webradio, et on a trouvé Airtime, en open-source.
Bon, ça nous amène à la question du financement… Monter une radio aussi ambitieuse, ça représente quel budget? Après, je ne sais pas si ça vous intéresse qu’on parle de ça.
J: Il n’y a pas de tabou. Ça fera la nique à ceux qui ont plein de sous et qui ne foutent rien.
S: Je valide.
Donc, le budget? Sachant qu’il y a sans doute un budget de lancement et ensuite un prévisionnel pour la suite.
J: Pour le budget, nous n’avons pas compté le serveur de TK qui est déjà affecté à la mise en service de nos sites. Si la webradio venait à être trop gourmande en ressources, on lui prendrait son serveur à elle, mais ce n’est pas le cas pour l’instant. Restent l’administratif et la pub. En administratif, on paie 80€/an de SACEM, 480 €/an à la SCPP et 120 €/an à la SPPF qui sont des sociétés de protection des droits des producteurs. Il faut rester sous certains seuils de budget et d’audience pour bénéficier de ces tarifs. Pour la comm’, on a dépensé 200€ en flyers et autre kakémonos.
Donc, on est à environ 700 euros de fonctionnement à l’année, sans parler de la comm‘. Qui finance?
S: TK et Dastum, 50-50.
Aujourd’hui, concrètement, comment se structure la programmation et qui s’en charge?
S: Ce sont des bénévoles qui gèrent la programmation ; chacun a 1 ou 2 demi-journées d’écoute à programmer par semaine (ce qui représente jusqu’à 11-12h de programmation à faire par semaine, voire plus pour certains NDLR). Il y a une dizaine de bénévoles à se partager la tâche. Il y a des programmes récurrents, comme les apéros à 11h30, le groupe de la semaine ou la carte blanche du vendredi ; le reste, ce sont des émissions à la charge et au choix des bénévoles.
Ce qui veut dire, on est bien d’accord, que la très grosse partie de ce qui est diffusé est le fruit d’une programmation et pas d’un mode aléatoire (sauf la nuit, je crois). C’est important à signaler parce que certaines webradios fonctionnent comme ça…
J: Oui, la programmation purement aléatoire, c’est de 1h à 6h du matin.
Peut-on parler plus en détail des temps forts de la semaine, des émissions récurrentes, des thématiques, bref des rendez-vous identifiables par les auditeurs?
J: Pour les temps forts de la semaine ou les émissions récurrentes, il y a :
– 1° des apéros – terroirs, tous les jours à 11h30, une émission thématique sur un terroir donné.
– 2° le groupe de la semaine, qui est programmé une à deux fois par jour pendant une semaine.
– 3° les artistes du samedi : tous les mercredis, on diffuse des musiciens qui sont programmés en fest-noz ou en concert le samedi suivant.
– 4° la carte blanche : un artiste nous fait une playlist de 2h et on la passe 3 fois le vendredi.
Pour le moment j’ai noté Guillaume Blain, Lors Landat, Ludovic Rio, Alain Le Grevellec…
J: Voilà, et on a déjà demandé à beaucoup d’autres car il faut tenir 52 semaines dans l’année !
S: Le prochain, c’est Pablo Molard. Suivront Timothée Le Bour, Sylvain Barou, David Pasquet, Nolwen Leroy…
J: NOLWEN LEROY ????????
S: … et Francois Hollande au mois de mai, parce qu’il aura le temps.
Qu’en est-il de la possibilité d’écouter la radio via l’appli TK sur smartphone? Ça permet d’écouter CanalBreizh dans sa voiture ou dans ses toilettes, c’est génial! C’était prévu comme ça depuis le début ?
S: La radio est sur l’appli depuis le 1er jour. C’était prévu comme ça, oui ; c’est Guilhem (Lucas, concepteur de l’appli TK) qui s’en est chargé. J’imagine que ça n’a pas été simple et que ça lui a demandé beaucoup de temps.
J: Oui, il y a passé beaucoup de temps.
Pour ce qui est du partenariat avec Dastum, en dehors du financement quelle est la part de cette 2e asso, notamment pour le contenu programmé sur CanalBreizh?
J: L’équipe de Dastum est en train de préparer des playlists qui vont être diffusées le lundi matin, choisies dans les éditions de Dastum et de ses pôles associés. Cela implique également que nous allons diffuser d’anciens vinyles qui ne sont pas encore dans notre base de données.
Justement, pour creuser un peu cet aspect là, TK et Dastum n’ont pas forcément la même identité musicale. Mais c’est justement l’intérêt non?
J: Nous n’avons pas vraiment défini de ligne éditoriale, si ce n’est qu’on diffuse majoritairement des titres enregistrés par des artistes qui se produisent ou se sont produits en fest-noz. L’intérêt des éditions Dastum est de promouvoir et d’interpeller sur la richesse notamment des archives et des collectages. C’est complémentaire.
Aujourd’hui, CanalBreizh fonctionne depuis plusieurs semaines. Quels vont être les évolutions de la radio, vos envies et aussi les difficultés que vous anticipez sur le long terme ?
S: Dans les difficultés, on pense à la baisse de régime possible des bénévoles. Il va falloir pallier à ça dans les semaines ou mois à venir.
J: Tout à fait.
S: Dans les envies, il y a plusieurs choses, peut-être une collaboration à faire avec les radios bretonnes (RKB, RBG, etc)… (« etc » c’est pas une radio, hein…) (rires) Il faut juste qu’on s’accorde sur ce qu’on peut faire, chacun de notre côté, sans dénaturer le flux.
D’une manière générale, quelles ont été les réactions à l’arrivée de ce nouvel acteur culturel? Moi, j’entends beaucoup de commentaires enthousiastes autour de moi. Il y a évidemment toujours des râleurs mais globalement vous avez quels échos?
J : Globalement, très bons retours.
S: Je n’ai eu aucun mauvais retour.
J: Quelques râleurs, certes…
Quelle est l’audience moyenne? Vous avez des stats là-dessus?
J: Il y a entre 800 et 1200 visites par jour et entre 40 et 60 auditeurs en permanence.
On touche quels pays? Canal Breizh all over the world?
J: Oui. 71 pays depuis l’ouverture
S: Mieux que la fête de la Bretagne !
On peut finir là dessus… c’est en tout cas une belle preuve que la convergence des gens et des outils, ça marche ! L’articulation entre TK et CanalBreizh, les liens avec Dastum, l’intégration de la base de Louis… Fiers, quand même, du bébé non?
J: Oui, vive nous !
A noter qu’un dossier, clair et complet, sera consacré à CanalBreizh dans le prochain numéro de la revue Musique Bretonne, à paraître bientôt.
Signalons également, tant qu’on parle de convergence, qu’il est possible d’intégrer le lecteur CanalBreizh à votre propre site internet, la procédure (simple) est expliquée sur le site. Faites passer le bon son!
photos: Tamm-Kreiz et Ouest-France