On était au Printemps de Châteauneuf, le 1er avril 2018!

Il n’y a pas de mecque ou de lieux saints en musique trad, mais il existe un certain nombre de rendez-vous annuels qui sont tellement ancrés dans le paysage calendaire des passionnés qu’il paraît inconcevable qu’ils disparaissent. C’est pourtant possible, ainsi qu’on a malheureusement pu le constater avec des événements précieux comme le regretté festival Cabaret à Domicile de Saint-Laurent-sur-Oust, pour ne citer que celui-là. Parmi ces institutions, le printemps de Châteauneuf (du Faou) tient une place éminente, avec son identité propre et ses trésors particuliers.

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Toujours placé le dimanche du week-end pascal, ce « festival d’une journée » tombait cette année le premier avril. Pas de blague pour autant, il suffisait d’un coup d’oeil à la programmation pour constater que ça allait être du sérieux monté sur du solide, avec le sourire en prime.

Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est que la météo n’était pas printanière, elle. En ce début d’après-midi où les bénévoles ouvraient les entrées, où le bar n’était pas encore ouvert et les frites mises à chauffer, les premiers mordus de danse, eux, étaient déjà là, malgré la pluie. De fait, le reste de la journée et de la soirée allaient confirmer qu’il fallait plus qu’un temps pourri pour démotiver la bonne humeur générale et le plijadur que d’aucuns étaient venus prendre.

Ceci dit, le temps qu’il fait peut changer beaucoup de choses, notamment considérant la disposition des lieux. En l’occurrence, une vaste salle pour la danse, une autre en contrebas pour les concerts, une troisième pour le bar (eh oui, il fallait sortir de la salle et marcher un peu pour boire un coup, même si des écrans et du son permettaient, là bas, de profiter (sans danser) de ce qui se passait sur scène) et un chapiteau avec de grandes tables pour café/thé et gâteaux, avec en prime une grosse session irlandaise à partir de 17h. C’est à peu près à cette heure-là que les barnums dévolus à la restauration commençaient à tourner, mais c’est dès 15h que les hostilités musicales ont démarré. Et ce, jusqu’à plus de 3h du matin. Il fallait en avoir sous le jarret pour se faire la totale et (on le verra), de la voix, aussi.

Et la particularité du Printemps de Châteauneuf, en plus de se centrer sur une approche chanteurs/sonneurs « trad de qualité » (comme on peut également en profiter à Poullaouen, par exemple), c’est d’accueillir tous les types de répertoires bretons. On renâclera, en ce qui nous concerne, à user du mot de « terroir » (qu’on préfère réserver aux spécialités gastronomiques régionales), mais force est de constater que les musiciens invités à « représenter » leur répertoire ont été soigneusement choisis. Alors évidemment, il y a une écrasante sur-représentation de la Basse Bretagne (5 fois plus que la Haute Bretagne, on a compté), et encore n’espérez pas voir de quadrettes : de la ronde, de la ronde, et encore de la ronde. Mais après tout, on est en Finistère et on ne peut pas reprocher aux gens de valoriser leur patrimoine (à quand un Printemps de Châteaubriant?). Et, du reste, on ne peut que se délecter du voyage dansé proposé par des interprètes de renom.

Dans une salle qui aurait pu être austère mais qui, portée par un vrai soin à une déco agréable et fleurie et par l’ambiance dans la danse, on se régale d’un rond paludier emmené par Piel/David, d’un plinn transgénérationnel avec Dabo/Guilloux ou complètement fou dans l’articulation rythmique implacable avec Ifig et Nanda Troadec, d’une suite bigoudène furieuse du duo An Habask/Chapalain, d’un rond de Saint-Vincent de Béliard/Trimaud, du fisel et puis de vrais moments de fièvre de gavotte, avec Léhart/Messager et des gens complètement fous sur les passages des duos de chanteur(euses) Le Corre/Fustec (hallucinant, une machine complètement inarrêtable) ou Christian et Sylvie Rivoalen (une transe de gros malade, ça criait braz…). Et au milieu de tout ça, de temps en temps, des duos plus libres mais tout aussi ancrés, avec les frères Landreau (violon et Chapman stick), Josset/Pichard (bombarde et accordéon) ou encore le passage dément des frangins Paranthoën… histoire de faire des parenthèses ouvertes à des esthétiques différentes qui n’embrasent pas moins le plancher pour autant. Bon, à raison de 17 mn (!) par duo, autant vous dire qu’on ne peut guère citer tout le monde, mais ça a défilé sévère pendant 12h non stop.

Outre la session irlandaise sous le chapiteau, il y avait aussi les irruptions festives d’une fanfare bigarrée et joyeuse, et des concerts dont on retiendra notamment le dernier. C’était en effet l’occasion de découvrir cette belle formation qu’est Kazut de Tyr (Y.-M. Berthou, J. Floc’h et G. Kerdoncuff) en version augmentée avec une joueuse de kânun, un joueur de saz et chanteur kurde et Eric Menneteau au chant. Un voyage musical et humain, simple et beau, comme peut en générer l’appétit de rencontre, de découverte de l’autre.

Alors oui, plus que jamais, pluie ou pas, le Printemps de Châteauneuf était l’occasion de célébrer de façon tonitruante et joyeuse des cultures ancrées et ouvertes, des langues et des vocabulaires musicaux qui se transmettent et se régénèrent, des envies de partage par le geste et le regard, et plus si affinités. L’implication massive de bière dans le déroulement de ce dimanche pas comme les autres n’étant, nonobstant, pas totalement à exclure.

crédit photo : Bernard Cambray