Déjà le quatrième entretien parmi ceux présentés en 2013 par Heikki Bourgault dans le cadre de son mémoire consacré à « la pratique actuelle de la guitare et de l’instrument accompagnateur en musique bretonne ». La démarche générale, notamment autour du support utilisé pour aborder la pratique de l’instrument, a été présentée précédemment.
Ces entretiens ont été réalisés il y a 6 ans environ ; merci de garder à l’esprit que chacun des intervenants a nécessairement fait son chemin depuis, et qualifierait peut-être les choses autrement maintenant.
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Breton de Paris, Soïg s’installe en Bretagne dans les années 1970, à l’âge de 23 ans. Dans un fest-noz, il découvre l’univers musical breton : c’est la révélation. Il sillonne alors tous les festoù-noz de la région de Glomel. Il rencontre les musiciens du groupe Sked et participe à leur album en 1974. En 1975, il rencontre également le guitariste Michaël O’Donnell (Bothy Band entre autres), qui lui fait découvrir certains aspects de l’harmonie à la guitare DADGAD et provoque chez lui le déclic de l’accord ouvert. Il adaptera ces sonorités au répertoire breton. Il démarre donc sa carrière professionnelle à la fin des années 1970, au sein du groupe de fest-noz Kanfarted Rostren par exemple. C’était une évidence de rencontrer ce guitariste ô combien illustre de la musique bretonne…
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Bonjour Soïg, peux-tu me dire comme s’est faite cette rencontre avec la musique traditionnelle ?
Par hasard, à force de se voir dans les bistros/cabarets, il y en avait un qui s’appelait « Chez Elise » qui a brûlé d’ailleurs et qui est en train de se refaire à Plouyé, il y en avait un autre qui s’appelait « Le temps des Cerises » à Huelgoat, et « Armaot » dans ce coin là et on appelait ça le triangle des belles murges ! Ça, c’est pour la petite histoire, mais il se passait plein de choses au niveau de la musique, il y avait des bœufs fantastiques, plein de gens qui arrivaient de partout ! J’y allais souvent, car c’était une bonne manière d’apprendre aussi. Tous ces gens, notamment ces gens de La Mine [village de Poullaouen], Eric Marchand, Patrick Molard, Pierre Crépillon, y venaient aussi pour différentes raisons qui étaient un peu les mêmes que les miennes… Et puis on a commencé à se connaître, tout le monde.
Alors, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, j’habitais à Carhaix, Patrick Molard vient me voir et me dit qu’il est demandé pour jouer dans une chapelle près de Carhaix, avec biniou/bombarde et Eric Marchand au chant. Il me demande : « est-ce que ça t’intéressait pas de faire un truc avec la guitare ? » Bien sûr que ça m’intéresse !! Je me rappelle, on s’est retrouvés chez moi pour travailler, et il fallait qu’on trouve un nom… C’est Patrick ou Pierre Crépillon qui s’est dit « ben, en Irlande, il y a bien un groupe qui s’appelle Planxty, qui est un style de musique, pourquoi on ne s’appellerait pas Gwerz ? Ça sonne bien ! » Donc on a fait le premier concert dans cette chapelle à Paul, ça a plu aux gens, ça nous a plu aussi, et du coup le côté un peu sectaire de part et d’autre a bougé… pourquoi pas finalement, la guitare c’est si mal que ça peut-être… et puis le biniou koz c’est pas si fort que ça… Parallèlement à ça, j’avais aussi le groupe Kornog à qui j’avais donné la priorité, je n’étais donc pas toujours disponible pour jouer avec Gwerz. Patrick me parle de son frère Jacky qui habite à Saint-Malo, violoniste et guitariste, qui pourrait me remplacer quand je ne suis pas là. C’est ce qu’il a fait, et on s’est ensuite demandés pourquoi ne pas jouer à cinq ? C’est comme ça que Gwerz est né. Dans Kornog, je jouais avec Jamie McMenemy. Pour moi, ça a été une rencontre primordiale au niveau de la guitare et au niveau de l’amitié car nous jouons encore ensemble en duo.
On s’est rencontrés à Plogoff quand il avait eu les événements, j’avais apporté ma guitare et puis il y a eu une espèce de coup de foudre musical ! Je découvrais aussi le son des cordes, sa façon de jouer et de chanter bien sûr… Donc c’est comme ça que je suis arrivé à cette musique. À la suite de ça, dans les années 1980, c’était un peu comme maintenant, ce n’était pas facile de vivre de la musique, et il fallait donc se diversifier. On s’était dit avec Jean-Michel Veillon, Jacky Molard et Christian Lemaître, « pourquoi on ne ferait pas de la musique à danser ? » Il y avait donc Jean-Michel, Jacky, Christian, Étienne Grandjean et ma pomme, de la musique à danser avec Pennoù Skoulm. Ça a continué un moment comme ça…
Et jusqu’à quand, alors ?
On a arrêté Gwerz deux fois, dans les années 1987-88, on avait pas mal de succès mais pas beaucoup de concerts, donc ça s’est arrêté. Kornog, c’est moi qui suis parti, j’avais du mal à concilier ça avec les autres choses que j’avais commencé à faire, et puis j’ai aussi voulu mettre un frein aux longues tournées… Pennoù Skoulm durait toujours… et puis, avec Jacky on bossait souvent tous les deux, on aimait bien jouer de la musique traditionnelle mais on aimait bien aussi écrire et composer. On avait une commande pour faire une musique de film. On s’était dit que ça serait bien d’avoir une formation avec des origines celtiques mais sur des compositions. De là est né Den, avec Patrick qui nous a rejoints, Alain Genty à la basse, Alain Roquet aux claviers. C’était un son plus pop-rock, ça a pas mal plu aux gens mais, pareil, à cette époque ça ne tournait pas trop… ça s’est aussi arrêté au bout de quelques années.
Et la suite ?
Ensuite, il y a eu différentes expériences. Je me suis retrouvé embauché avec le Celtic Fiddle Festival, avec Kevin Burke, Johnny Cunningham et Christian Lemaître. C’était donc reparti pour quelques tournées aux États-Unis, et on a fini par enregistrer un disque. Au retour, dans la CoopBreizh, il y a eu une envie de créer un label spécifique qui s’appelait Gwerz Pladenn. Jacky était à son origine. Il fallait donc marquer le coup pour la sortie des premières productions, et il fallait faire un tir groupé avec plusieurs productions. On a ressorti un disque live de Gwerz, un disque de Patrick, un disque de Tryptik avec Jacques Pellen… et Jacky me propose de faire un disque à mon nom. « Un disque à mon nom ? » Je n’avais pas ça dans l’idée… C’était donc mon premier disque, « Digor ! », ce qui signifie « ouvert ! ». Et en fait cette expérience là m’a donné le virus de me produire à mon nom. Après, voila, j’ai sorti 7 albums, avec des morceaux plus guitare et d’autres morceaux en invitant des gens par rapport à mes envies. Et puis toujours des rencontres avec d’autres, des chanteurs, des chanteuses, avec Nolwenn Korbell, Evelyne Girardon qui ne vient pas du tout de la musique bretonne mais de la musique française… Donc, voilà mon parcours musical… avec des groupes bien constitués au départ et puis ensuite tu rencontres des gens et c’est ça qui fait avancer…
Et donc, tu fais beaucoup de concerts en solo ?
J’en fais beaucoup ! Ce qui me plaît bien, c’est que tu es tout seul donc au niveau de la concentration tu es non stop, même quand tu joues pas ! Et puis il faut tchatcher ! Il faut amener les gens dans ton univers, je trouve ça très difficile mais vachement enrichissant ! Et aussi dans les concerts de guitare, tu es confronté avec d’autres guitaristes, comme les concerts « autour de la guitare » avec Jean-Félix Lalanne, ce qui permet de se retrouver dans des univers et des rencontres ! J’aimerais bien en faire plus, mais je fais un ou deux concerts par mois en solo.
Sinon, tu joues aussi avec Nolwenn Korbell ?
On s’était rencontrés à Yaouank, il y a une dizaine d’années, et elle habitait au Pays de Galles. J’avais entendu par hasard à la radio un disque qu’elle avait fait avec un groupe de rock gallois, je trouvais la voix super intéressante. À la suite d’une carte blanche à Quimperlé où je l’avais invitée, elle me demande de jouer pour faire des concerts en duo, plus intimistes et j’ai répondu : « avec plaisir ! ». On a donc enregistré un disque et on a beaucoup joué en Bretagne mais aussi à l’étranger. Et on joue toujours ensemble ! Mais ici, la démarche est différente, puisque Nolwenn ne fait pas de musique traditionnelle, ce sont ses chansons à elle, ses compos. Ce qui me botte, c’est de rencontrer les gens, c’est toujours bien à la fois humainement et musicalement…
Super ! Je te fais écouter un truc et on joue ?
Si tu veux ! J’ai l’impression que c’est plus un fisel, non ?
Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
Bah, au niveau des attaques… Souvent au niveau de la main droite, je parler du système d’aller et retour, sur un air comme ça je fais presque tout en bas ! Je trouve ça mieux par rapport aux attaques et aux accents. C’est pour ça que ça me fait penser à un fisel… J’utilise beaucoup tout ce qui est hammer on et pull off, pour faire des liés, et ça vient plus du picking… Toutes les notes qui ne sont pas jouées de la main droite, il faut qu’elles sonnent avec la même intensité. Quand je joue les thèmes, je tiens mon médiator très près, très serré, la corde au raz du pouce, et quand je joue les accords, c’est plus relâché.
Elle projette quand même pas mal ta guitare…
Oui, j’aime bien appuyer dessus aussi… Ce qui est bien dans cette façon de jouer de la guitare c’est que chacun peut avoir son style propre ! Une autre possibilité aussi est de jouer dans une autre tonalité par rapport au capo… J’essaie différentes choses, notamment pour le picking, et ça prend du temps !
Donc tu travailles sur ta guitare comme tu le fais, là ?
Oui… Par exemple, je joue un morceau d’Évelyne Girardon, c’est un morceau du Morvan mais ça aurait pu être un thème du pays gallo… Le deuxième, c’est « Rossignolet du bois », c’est Roland Brou qui chante ça… Pour la première chanson, je trouvais que la première tonalité en La allait bien, j’ai essayé comme ça, et puis, pour finir la chanson, faire un petit arrangement, ça m’a pris deux jours ! Le premier jour, j’avais posé les bases, et puis le deuxième jour, après le café tu reprends le truc et paf ! Il te revient d’autres idées… Mais ce n’est pas beaucoup de temps, des fois pour des compos tu peux mettre énormément de temps, jusqu’à ce que tu sois content du résultat. Et là, j’essaie de ne rien ajouter à la mélodie. Par contre, pour la chanson de Roland Brou, j’ai juste ajouté un petit break au milieu, mais je reste fidèle à la mélodie. Je joue souvent sur les notes qui ne sont pas jouées, les petits liés, de manière un peu « harpistique », voilà un peu ma façon de faire…
Et quand tu trouves des couleurs intéressantes, tu connais l’harmonie qu’il y a derrière ?
Je n’en sais rien du tout, et je m’en tape ! Je ne connais pas la musique du tout, mais en fait, avec moi c’est plus une histoire de recherche. Par exemple, quand je trouve qu’une idée sonne bien, il faut ensuite la placer de manière pertinente. Il y a beaucoup de trucs au pif, sauf que des fois, ça ne me botte pas, et des fois ça me plaît bien dans une suite, par rapport au morceau…
Donc c’est vraiment par rapport à ton instrument que tu découvres ce que tu vas jouer ?
Oui, complètement. En théorie et tout ça, je n’y connais rien de chez rien… Ce que j’essaie de faire aussi, c’est de trouver d’autres tonalités, de rester toujours en DADGAD et jouer dans d’autres tonalités. Faire du Do majeur par exemple… ça, je ne sais pas du tout ce que c’est comme accord… Là, je suis en Do, et donc je trouve d’autres solutions. Mais je bouine, je me mets un petit verre de Merlot, je me mets près du feu, et puis voilà, je fais ça ! Mais c’est au pif, je suis très bordélique dans ma façon de travailler. C’est au feeling… Des fois, ça me plaît, d’autres fois je passe deux, trois jours à rien foutre, je fais du jardinage ou je ne sais pas quoi, tu vois… Ce que j’aime bien faire maintenant, c’est plus le picking, toutes ces techniques de jeu, de hammer in, pull off, des trucs qui ne sont pas joués de la main droite et puis le tapping,ça me plaît un peu aussi. J’aime bien cette façon de jouer assez percussive, avec des effets. Ça donne un autre rendu à la guitare, et c’est encore mieux quand c’est amplifié. Par exemple, j’ai des ronds de Loudéac en tapping, ça s’adapte dessus très bien. Ça marche ! Par contre, au niveau des basses, comme je ne suis pas un théoricien, mes basses, ça ne va pas très loin… Mais je préfère donner l’accent sur les thèmes donc je suis aussi plus limité dans les basses. Peut-être aussi que ça m’intéresse moins… Je reste très basique dans le truc mais je préfère privilégier les petits effets dans le thème. Ce genre d’ornementation là, si je partais dans des descentes, je ne pourrais pas les faire correctement en fait.
Entretien réalisé le 24 janvier 2012.
crédit photos : Eric Legret, Myriam Jégat