C’était mon groupe : Emsaverien

Mythique groupe de la fin des années 1990, Emsaverien a tiré sa révérence en 2007 après une dizaine d’années à écumer les scènes de fest-noz et de grands festivals.

Rencontre avec plusieurs membres du groupe.


Racontez-moi la naissance, les débuts du groupe Emsaverien, le contexte de sa création.

Guillaume Blain: La première date officielle du groupe, c’est le 5 avril 1995. Avant, en février 1994, on avait crée le trio Tri Gwilhom, avec Guillaume Hallereau à la bombarde, à la flûte irlandaise et au chant, Guillaume Bassompierre aux percussions et la veuze et moi, à la guitare et au chant. A l’époque, on était lycéens et on faisait des reprises de Tri Yann, on jouait pour les copains et très vite on a été rejoints par Jérôme Duclos et Gino Joubert. Dès notre première date en public, à Vallet en juin 1994, on s’est rendu compte que notre musique plaisait bien et ça a été très motivant. Et puis, il y eu notre premier vrai fest-noz en février 1995 à Saint-Julien-de-Concelles et la rencontre déterminante avec Claire.

Claire Leyzour : À l’époque, cela faisait peu de temps que j’étais dans la région et j’essayais de me remettre un peu au violon au sein du cercle de Nantes, Tréteaux et Terroir, après des années au conservatoire. Et ce soir-là, malgré ma timidité et pour une raison que j’ignore toujours, par l’intermédiaire d’une connaissance commune, je leur ai fait savoir que j’aimerais bien jouer avec eux.

Vous ne vous connaissiez pas du tout avant ce fameux soir ? On dirait un scénario de film américain !

Guillaume B. : Claire et moi avions déjà dansé une bourrée ensemble quelques mois auparavant, mais la seule chose dont je me souviens de ce fest-deiz, c’est le regard noir que m’avait jeté son copain de l’époque… et peut-être un peu de ses cheveux rouges, aussi ! Toujours est-il que quand on a appris qu’une fille voulait jouer avec nous, en bons lycéens et après s’être assurés, vidéos et photos à l’appui qu’il s’agissait bien de Claire, on n’a pas hésité longtemps et on lui a proposé de venir faire une répé avec nous.

Claire L. : Et j’y suis allée, en scooter, de Treillières à Vallet, 40km, traverser le périph, un truc de malade ! J’étais déjà folle d’eux en fait (rires) !

Et une fois l’équipe de musiciens au complet, vous ne pouviez plus vous appeler les Tri Gwilhom, je suppose ?

Claire L. : Ben non, ça ne collait plus ! Il fallait passer à autre chose. Emsaverien, ça signifie « les rebelles », en fait. Mais très vite on en a eu marre d’expliquer ce que cela voulait dire, expliquer le pourquoi du comment. Et puis, on a tout de suite voulu couper court à tout rapprochement facile avec le mouvement politique Emsav ! Du coup on a commencé à inventer une histoire. Emsaverien était un druide qui vivait à la Chapelle-Heulin dans les marais de Goulaine et cette histoire a été rapportée, amplifiée par les journalistes… Les gens y croyaient à mort !

Guillaume B. : Quand je pense qu’on a juste choisi le nom Emsaverien parce qu’on était tous fans de Star Wars à l’époque et il n’y avait qu’un pas entre la signification du mot et l’allusion à l’Alliance Rebelle !!

Et puis la grande aventure a donc démarré…

Guillaume B. : Oui, notre première date est un souvenir mémorable. On fait le premier Fest-noz System à Nantes, au Saint-Domingue, un bar mal famé dans la vieille zone portuaire industrielle, tenu par un patron portugais proche de la mafia nantaise ! A cette époque-là, la Mano Negra jouait régulièrement dans ce bar et donc Emsa a joué avec comme fond de scène une fresque Mano Negresque !

Claire L. : Et ce soir-là, dans la salle, il y avait 2 gars d’EV, Jari et Fakir, qui sont venus taper le bœuf avec nous, chanter du Tri Yann et qui, quelques semaines après, ont parlé de nous aux Tri Yann !

Guillaume Hallereau : Oui, ça a été une rencontre forte. Des gens vraiment super. Par la suite, ils sont devenus un peu nos grands frères, on s’est souvent retrouvés sur la route, en festivals !

Guillaume B. : C’est comme cela qu’en octobre 1995, on a fait les 25 ans de Tri Yann ! Pendant l’été, on avait déjà fait quelques dates, entre autres les Nuits Salines.

Ca a été super rapide ! Comment vous expliquez ce démarrage fulgurant ?

Guillaume B.: On a eu la chance de rencontrer Claudie Poirier, qui avait monté l’agence culturelle bretonne à Nantes et qui était fan de notre énergie et notre jeunesse. A Nantes à l’époque, il y avait un milieu « cercle celtique » dont nous ne faisions pas du tout partie, et des gens rencontrés à l’extérieur de ce milieu ont eu envie de nous mettre en avant, de nous pousser. Bien entendu, cela n’a pas forcément été bien vu par tout le monde, ça a suscité des jalousies !

Claire L . : Oui, on est finalement arrivés comme un cheveu sur la soupe parmi des gens qui faisaient de la musique depuis des années, et qui le faisaient, honnêtement, bien mieux que nous ! Mais on devait avoir une fraîcheur, un truc qui plaisait !

Guillaume B. : du coup, avec ce réseau qui s’est créé très très vite autour de nous, on a eu accès à de grandes scènes. On s’est retrouvés à jouer avec Ar Re Yaouank, EV et Tri Yann deux soirs de suite devant 3500 personnes ! Et parallèlement, le milieu du fest-noz nous a aussi intégrés très rapidement. Et heureusement, parce que c’était quand même notre fond de commerce. On ne faisait que de la musique à danser !

Gino Joubert : Le groupe a été formé au début d’un revival du fest-noz : il y avait davantage de monde dans les fêtes et davantage de fêtes dans notre coin reculé du vignoble nantais.

Pensez-vous que vous aviez une identité musicale particulière qui vous permettait de passer d’un milieu à l’autre sans souci ?

Gino J. : Notre identité ? Le Muscadet et les Marais de Goulaine. Le vignoble nantais a une unité culturelle qui lui est propre et unique. Les vignes et les marécages nous ont offert des espaces de jeux et de liberté qui ont profondément formé nos identités.

Guillaume B. : Je crois surtout qu’on n’avait pas la même culture, les mêmes influences musicales que les autres groupes de fest-noz de l’époque. Notre bassiste et notre guitariste électrique jouaient également dans un groupe de punk rock. On était tous fans de la Mano Negra, très branchés rock alternatif. Du coup on a apporté des influences diverses à la musique à danser.

Claire L.: A l’époque, en fest-noz, il était très rare d’avoir des guitares électriques, du moins avec du gros son comme on en faisait.

Guillaume B. : Il y avait déjà les Sonerien Du, mais ce n’était pas forcément nos influences. Je pense que notre identité est aussi née du fait que les musiciens, les organisateurs nous ont tout de suite mis dans une case à part. Du fait de notre réseau autour des EV et des Tri Yann, de notre rencontre, entre autres, avec Patricia Teglia, leur attachée de presse (qui depuis a travaillé avec Stromae ou Radio Elvis…), nous avons eu l’opportunité de jouer sur de grosses scènes, comme par exemple aux Rockeurs ont du Cœur à Rennes. Ce soir-là, il y avait Billy Ze Kick, Ludwig von 88… qui nous ont proposé de jouer en première partie de leurs concerts, notamment au Carnavalo Rock de St Brieuc, face à des milliers de personnes, avec des groupes énormément connus dans le milieu punk rock.

Ce genre d’expériences ne vous a pas écarté du milieu du fest-noz ?

Guillaume B. : Non, pas du tout. On jouait là où on nous demandait de jouer. Mais partout on continuait de faire notre répertoire de musique à danser !

Claire L. : Et on ne se posait pas de question ! C’était comme ça ! On passait d’un gros festival à un petit fest-noz de manière naturelle, et avec la même envie.

Guillaume B. : On était des férus de fest-noz, on jouait ce qui nous plaisait.

Guillaume H : Et puis, on avait un réseau de fans, pas de facebook à l’époque mais on avait quand même un site internet avec un forum qui marchait pas mal. On avait aussi pas mal de gens qui ne nous aimaient pas… On ne peut pas plaire à tout le monde, pas assez traditionnels, pas assez bons musiciens… (C’était vrai). On ne se prenait pas la tête. Cela nous tenait à cœur d’avoir des rapports très simples avec les organisateurs, on ne restait pas enfermés dans les loges, on passait du temps avec eux, je pense qu’on était disponibles.

Emsaverien a plusieurs disques à son actif. Comment ces enregistrements ont-ils eu lieu ?

Guillaume B. : En 2001, on a sorti notre premier CD : En Live sur Lie. On avait organisé trois fest-noz au Landreau dans le vignoble, pour l’enregistrement en public. A chaque fois, on a réuni plus de 600 personnes et ça s’entend clairement sur le disque. Contrairement à d’autres groupes que je ne citerai pas (rires), on n’a pas fait de rajout d’applaudissements. Ce n’est que du vrai ! Le deuxième CD, Secondes Vendanges, a été enregistré à Mûr-de-Bretagne, chez Hervé Le Lu en 2003, et la sortie d’album, à Vallet, a réuni 2000 personnes ! Super soirée ! Le troisième album, m-zA, a été créé en 2005, un peu sous la houlette de A l’abordage, une boîte de production qui nous avait proposé de nous faire tourner et de nous faire passer intermittents dès 2001. A l’époque, ce changement de statut avait été source de grand questionnement pour nous tous. On était presque tous encore étudiants, et ce choix n’était pas anodin !

Claire L. : Mais on a tous dit oui, et A L’abordage nous a, dans un premier temps, ouvert pas mal de portes, même si très vite, le fait de travailler avec des organisateurs non professionnels a été un frein pour eux. La création du CD m-zA est une demande de la boîte de production, qui souhaitait qu’on s’oriente vers un répertoire de concert.

Comment le groupe a pris la décision de se séparer, de tout arrêter ?

Claire L. : Au bout d’un moment, je pense qu’on avait tous un peu la pression : tous intermittents, il fallait faire tourner la boutique, rapporter un peu d’argent à la maison. On approchait tous de la trentaine et on se posait des questions sur l’après. Et puis, on s’est un peu épuisés à faire le CD m-zA. Ce travail de reprise de chansons traditionnelles, pas à danser, nous a demandé une énergie et un temps considérables par rapport au nombre de dates que nous a amené ce projet. Nous nous sommes recentrés sur le répertoire à danser mais cela nous a déconcentrés, déboussolés.

Guillaume B. : Je suis plutôt d’accord avec Claire. Le choix un peu forcé du répertoire concert n’était vraiment pas naturel pour nous, alors qu’au contraire ce qui faisait notre force depuis le départ, c’était de ne pas réfléchir à ce que l’on voulait faire. Du coup, l’album m-zA est un peu sorti avec les forceps ! Je me souviens qu’à l’époque, pour moi, les grosses bouffées d’oxygène venaient des soirées fest-noz, où tout coulait de source alors que sur le répertoire concert, on était différents, pas si à l’aise. On n’a jamais été des virtuoses de la musique. Notre force venait plutôt de l’énergie mise à faire danser le public. Du coup, la formule concert nous angoissait un peu. Petit à petit, les relations se sont donc dégradées entre nous. Cela a créé des tensions pendant les répés…

Guillaume H : On a joué et grandi ensemble pendant 13 ans, avec un fort sentiment de groupe. Tant que ça tient et qu’il n’y a pas trop de tensions, c’est génial, vraiment très fort, et puis quand ça ne tient plus, ça devient explosif, un peu comme une vraie relation de couple mais puissance 6, 7… A un moment, il y a eu sûrement de la lassitude, de la fatigue et quelques histoires. On avait du mal à faire de nouveaux morceaux, ça n’était plus très naturel. On a fait ce constat et on a décidé d’arrêter. On a assuré les dernières dates sans organiser de soirée spéciale, on n’avait pas vraiment envie de fêter ça…

Est-ce que vous êtes nostalgiques de cette époque ?

Claire L. : Non, c’était une autre époque, on en a vachement profité ! On a fait des mini tournées tous en camion, on a bien ri, on a fait la fête, on a vécu plein de trucs …

Guillaume H. : Pas de regrets, je ne garde que les bons souvenirs, un peu de nostalgie parfois quand je retombe sur une photo, une vidéo, mais ça amuse mes filles de les voir! On a vécu beaucoup de choses, non racontables, mais je me souviens bien de la fois où on s’est fait refouler de Suisse car on n’avait pas tous des cartes d’identité à jour ! Du coup, on s’est retrouvés à devoir attendre la nuit pour passer par des petites routes sans garde-frontières…

Gino J. : J’ai été profondément heureux de partager ces années avec les membres du groupe. J’ai eu énormément de chance de vivre de nombreuses expériences tout à fait exceptionnelles.

Guillaume B. : J’avoue que dernièrement, j’ai remis le nez dans de vieilles photos et que je me suis dit :« C’était bien quand même », mais je n’ai pas de nostalgie. Et puis, vue la chance que l’on a, Claire et moi, avec l’accueil que réservent le public et les organisateurs au duo actuellement, on ne peut pas être nostalgiques !