Il est parfois compliqué de faire de la place à tous, usant d’organiser des événements en accueillant des gens qui n’ont aucune conscience de tout ce que ça implique, désespérant de voir des chapelles s’ignorer et végéter plutôt que de travailler ensemble (quitte à constater ses différences et s’enrichir de ce qu’elles peuvent offrir de complémentaire). Il est rare, surtout, qu’un événement sache concilier tout ça et se paie le luxe de s’inscrire dans la durée en faisant salle comble. C’est le pari que réussit Philippe Plard chaque année sur ses terres mancelles, avec le festival Folkiri.
Oser le bal folk, oser la Sarthe…
Pour qui est uniquement habitué à l’écosystème fest-noz, aller à un bal folk pour la première fois est toujours un choc. Pas la même population, pas la même ambiance, pas les mêmes codes esthétiques dans la musique comme dans la danse, pas les mêmes tarifs non plus1, et une buvette qui peine parfois à ressembler à un truc digne de ce nom. Pour autant, tout comme Yaouank ne ressemble pas à Poullaouen, tout comme Kleg ne s’apparente guère à Monterfil, il n’y a pas un modèle unique de bal trad/folk. On peut rencontrer des approches plus ou moins ancrées, plus ou moins néocitadines ou encore un peu rurales, des ambiances festives ou dans l’entre-soi, bref tout un ensemble de possibles déterminés, comme en fest-noz, par des dynamiques locales, par la rencontre entre des organisateurs plus ou moins compétents/sympathiques/motivés et un public avec ses attentes conscientes ou non. Il y a comme en Bretagne des tonnes de façons de foirer un bal comme d’en faire un moment dont on se souviendra.
De ce point de vue, il faut bien reconnaître qu’il se passe des choses au Mans et dans ses alentours 2 depuis quelques années et que, à deux pas de la Bretagne, on aurait tort de ne pas aller y faire un tour quand de belles occasions se présentent. Le festival Folkiri a toujours lieu le premier week-end d’octobre, au moins sur les deux soirées du vendredi et du samedi, dans la belle salle des Saulnières.
Organisé depuis 2012 dans un partenariat fructueux entre le musicien Philippe Plard (accordéoniste de renom et sarthois d’origine) et la salle de spectacles 3, l’événement propose en outre des stages de musique et de danses. Des concerts sont aussi intégrés à la programmation, ce qui est toujours une gageure dans un univers trad toujours plus féru de bal que de moments d’écoute dédiés.
De beaux sons variés dans un bel écrin
Côté programmation, justement, c’est à la fois ouvert et exigeant. Cette année, côté concerts il y avait dès le jeudi les québéco-normands de « Mes Souliers Sont Rouges » et Jean-Charles Guichen en solo, et côté bal on avait droit le vendredi aux italiens de Pitularita, War-sav pour la Bretagne et La Machine pour le Centre France, et le samedi aux légendaires Blowzabella, au duo Laloy-Le Tron et au tellement bon duo Artense. Quant aux années précédentes, on retrouve le même goût pour des esthétiques variées, du folk moelleux au trad le plus savoureusement rugueux, avec de quoi prendre du plaisir pour tout le monde, et quelques belles prises. Excusez du peu : Debout sur le Zinc, Malicorne (lors de leur reformation en 2014), Arbadétorne, Brotto/Lopez, duo Absynthe, Décibal, Ciac Boum, Mister klof, Naragonia, le trio Padovani/Robin/Jolivet… Et pour la Bretagne, on ne pourra pas dire que la sélection se fait parmi ce qui se fait de pire avec Loened Fall, Skolvan, Landat/Moisson, Blain/Leyzour, Le Bour/Bodros quintet…
Concernant le contexte de bal proprement dit, tout se passe donc à la salle des Saulnières, au Mans. Habitués des festoù-noz en salle des fêtes perdue dans la campagne, attendez-vous à quelques dépaysements urbains : toute sortie est définitive et si vous avez le malheur de laisser votre bière sur le bord de scène pour aller danser, vous avez peu de chance de la retrouver en rentrant, l’agent de sécurité l’aura évacuée pour répondre aux consignes de la salle. C’est le prix à payer pour des soirées par ailleurs privilégiées, de par le bon son qu’on y trouve et le lieu impeccable qui sert d’écrin aux bals. Et puis côté buvette, même si la taille est réduite, l’offre est vraiment bien, et la bonne ambiance dispensée par les bénévoles qui y officient est particulièrement appréciable.
Et la danse, dans tout ça ?
Bien entendu, il faut pour venir ici accepter d’emblée que bien des fondamentaux du fest-noz sont absents. Le rapport à la danse s’exprime très différemment, et pas seulement par la diversité des répertoires. Mais l’ambiance est bienveillante et joyeuse, la population variée et pas ronchon, et on y trouvera parfois plus facilement sa place pour s’insérer en tant que débutant dans des danses auxquelles on ne connaît rien que dans nombre de bals bretons tenus par des vieux briscards rigides. Et puis bon, pour danser une bonne bourrée sur la musique du duo Artense, ou un branle de Noirmoutiers balancé par Ciac Boum, ça vaut le coup de faire le déplacement non ? Enfin, ne pas perdre de vue qu’il y a de la place pour les répertoires bretons, dans toutes les éditions. Ce sera aussi l’occasion de constater que, si vous étiez une bille pataude en rond d’Argenton et en fandango, d’un seul coup la tendance s’inversera probablement en votre faveur au moment de danser un Loudéac ou un fisel. Ce sera l’heure de briller avec simplicité et bienveillance ; chacun son tour d’être modélisant… Bref, de l’échange, des sourires et du bon son, donc absolument aucune raison de ne pas venir en 2019 en Sarthe, pour un peu plus de 24h…
- …et du coup, une meilleure viabilité? C’est un autre débat, mais important pour la survie du fest-noz. ↵
- on vous parlera peut-être un de ces jours du Bal à Yvré…. ↵
- à la programmation par ailleurs très « musiques actuelles » mais qui s’est ouvert l’année dernière à une soirée N’Diaz+Superparquet, par exemple… ↵