C’était mon groupe : les Baragouineurs

Il y a des o.v.n.i.s salutaires dont on se souviendra toujours, des propositions artistiques aussi improbables que nécessaires, et le duo haut breton des Baragouineurs fait indubitablement partie de cette catégorie sur la scène fest-noz des années 2000. Prestations scéniques généreuses et conviviales, vrai sens de la fête et un sens du décalage qui neutralise les impératifs un peu snobs du « bon goût trad ». Retour avec Dominique Bussonnais et Rachid Bara, alias Gilles Evilaine et Claude Darmor, sur une épopée qui a marqué son époque.

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Bonjour les gars ! À bien des égards, s’il y a bien un groupe avec une identité bien trempée, complètement à part, et qui a marqué les esprits, c’est le vôtre. Comment s’est formé le projet des Baragouineurs ?

Dominique : Nous étions avec Yves Averty dans « le plus mauvais groupe du monde », le Cri du Cru. Par ailleurs, dans nos parcours personnels, nous chantions déjà, chacun de notre côté, des chansons traditionnelles. Yves Averty, qui organisait des Fest-Noz System sur Nantes, nous a demandé de réunir nos deux voix dans un projet, au départ « vaguement » électro. En quelques répétitions, nous avons monté un premier répertoire de danses avec un petit clavier jouet. Sans trop réfléchir, nous sommes montés sur scène et la magie a opéré. C’est alors qu’on a décidé de travailler un peu plus et le projet Baragouineurs est né.

Rachid : La première des Baragouineurs est effectivement liée au fait qu’il manquait un groupe un peu électro pour boucler une soirée « Fest-Noz System » à vocation éclectique, et du coup Yves nous a lancé ce petit défi. C’était dans un esprit très cheap au départ avec juste un petit clavier du type Bontempi. Comme ça s’est bien passé, on a aussi fait la Fest’Yves à Nantes dans la rue Scribe. Ce projet ne devait être qu’éphémère, mais Yves a décidé d’arrêter Le Cri du Cru et nous a dit d’approfondir ce projet Baragouineurs. Normalement, ce n’était qu’un one shot, juste un petit délire!

Vous aviez déjà des expériences de musique trad à danser avant ce projet là ?

Dominique : Nous traînions dans les festoù-noz des années 90. Une décennie riche, puisque la première génération née dans les seventies avait profité du travail de collectage des aînés, du succès de quelques artistes bretons, de l’organisation des écoles de musique traditionnelle, de la structuration d’un mouvement culturel profond.

Rachid : J’ai découvert un peu ce milieu via le groupe EV avec lequel j’ai travaillé. Et comme beaucoup, j’ai pris une grosse claque en découvrant Ar Re Yaouank. Peu avant la création des Baragouineurs, j’ai fréquenté plus les festoù-noz en écrivant des articles pour Musique Bretonne de Dastum et en rencontrant une ethnomusicologue Hongroise, Zsofia Pesovar, qui m’a fait rencontrer Albert Poulain, Les Traines Meuriennes, Gigi Bourdin et le milieu de la Bogue d’Or. A Nantes, j’ai pris à cette époque des cours de chant dans la danse à Dastum 44 avec Sylvain Girault. J’ai adoré, à ce moment-là, le fait de chanter et danser dans la ronde en même temps. C’est avec ça que s’est constitué le premier répertoire des Baragouineurs, avec des chansons du répertoire de Bourdin – Dautel – Marchand, d’Albert Poulain et des Traines Meuriennes.

Comment qualifierez vous le contexte de la scène fest-noz de l’époque ?

Dominique : Lorsque nous avons lancé le projet « Les Baragouineurs », il me semble que nous vivions un double mouvement contradictoire. La musique traditionnelle bretonne se retirait peu à peu des grosses scènes qu’elle avait connu dans les années 90. En revanche, le mouvement continuait avec un public encore important, qui était prêt à entendre des sons différents et des propositions iconoclastes comme la nôtre.

Rachid : Ar Re Yaouank, Carré Manchot et Emsaverien n’existant plus, le milieu festoù-noz était alors moins fort artistiquement en terme de proposition innovante, c’était plus trad ou trad/folk.

Qu’est-ce qui faisait l’identité du groupe, musicalement, humainement… ?

Dominique : Notre premier objectif était la danse, avec le couple de chanteurs traditionnels qui se répond et qui s’investit auprès du public. Ensuite, de tordre les musiques électro pour les contraindre aux rythmes des danses. Enfin, de s’amuser sur scène pour amuser les gens. Car dans « fest-noz », il y a « fest ». Garder le sens de la fête nous semblait très important.

Rachid : Notre approche était très rock dans l’esprit, avec un côté clownesque que l’on avait déjà dans Le Cri du Cru. L’idée était aussi de mélanger deux types de transes, la trad et celle liée à l’électro. Notre rencontre avec Nicolas Moreau et le travail réalisé en studio avec lui ont été prépondérants pour l’évolution du groupe. Ce fut le 3ème Baragouineur, un grand sorcier du son capable de nous supporter dans tous les sens du terme.

De quoi était composé votre répertoire ?

Dominique : Nous proposions essentiellement un répertoire de Haute-Bretagne. Nous reprenions des musiques et des chansons, et nous nous les réapproprions avec des textes différents, des musiques adaptées. Nous avons par exemple recréé une suite de Loudéac au grand complet avec un rond, un baleu, un second rond pour terminer par le riquénié.

Rachid : On est parti du trad de chez trad avec des arrangements décalés vers de plus en plus de compositions.La seule danse de Basse Bretagne que l’on faisait était le rond de Landéda, avec des paroles françaises et non bretonnes, War Bont An Naoned devenant Sur Le Pont de Nantes.

Le groupe a-t-il beaucoup tourné ? Enregistré ? Quelle a été sa vie ?

Dominique : La vie du groupe a duré une petite dizaine d’années. Nous avons beaucoup joué, mais sans doute pas autant qu’on l’aurait souhaité. Nous avons enregistré 3 albums : « bpm » sorti en 2003, « De sang, de sueur et d’amour… » en 2005 et « Discoz » en 2009. Cela n’a jamais été notre seule activité. Nous avons toujours été des « touche à tout », chacun dans notre coin. Mais c’est aussi cela qui a permis de nourrir les Baragouineurs.

On se souvient notamment d’une collaboration avec Raphaël Mezrahi sur le premier album. Comment est née la connexion et comment ça s’est passé ?

Dominique : Un été, alors que nous tournions avec Le Cri du Cru, nous envoyons notre disque de ce groupe à Mezrahi, qui animait une émission sur France Inter. Aussitôt, il passe la chanson « La culotte de velours », et très vite nous devenons copains. Voilà pourquoi, lorsque les Baragouineurs sont nés, nous lui avons demandé de venir chanter sur notre disque. Nous avons même chanté avec lui sur scène…

Rachid : ça s’est fait tout naturellement, il adorait « La Culotte de Velours » du Cri du Cru et comme on l’avait transformé avec Les Baragouineurs en danse Maraichine, c’était logique de lui proposer le couplet qui parle en plus de Troyes, dont il est originaire. Ça s’est passé vraiment à la cool car il est à la scène comme à la ville, un être sympa, convivial, un être normal, quoi !

Vous êtes les initiateurs du « plus petit fest-noz du monde »… ça reste un souvenir mémorable, non ?

Dominique : Pour préciser, il se déroulait dans une caravane, notre petite discothèque avec un videur à l’entrée. Il durait 5 minutes pour 5 personnes. Ainsi, dans une soirée, nous pouvions passer quelques dizaines de personnes. C’était un peu n’importe quoi, nous ne l’avons pas fait très souvent car notre caravane s’écroulait petit à petit, au fur et à mesure des danses. Ça devenait donc un peu dangereux. Mais la rareté a créé le mythe pour les gens qui l’ont vécu. En tout cas, nous sortions épuisés de chaque soirée, car nous jouions et dansions pendant des heures sans presque jamais s’arrêter.

Rachid : Notre passage à Yaouank avec notre caravane reste un de mes meilleurs souvenirs. C’était un vrai sauna ! La caravane, c’est aussi celle du clip vidéo « Villa Biniou » qui a cartonné sur Dailymotion avec plus d’un million de vues.

Quelques bons souvenirs ou anecdotes savoureuses à partager ?

Dominique : En 2006, nous sommes en Algérie pour plusieurs shows dans un festival international traditionnel. Nous jouons dans des théâtres, des grands parcs, des cités, des villages, sur des places. Un soir de 14 juillet, les français d’un groupe folklorique ont l’idée « surprenante » de monter sur scène pour chanter la Marseillaise. Cela ne semble d’ailleurs concerner qu’eux mêmes. Ce qui provoque un malaise palpable dans le public. Ils descendent de scène. Aussitôt, nous enchaînons avec un show incroyable qui fait redescendre la pression en même temps qu’il fait monter l’ambiance. Là, on peut dire qu’on entre en communion avec la foule présente qui danse avec nous et qui fait un pied de nez rigolard au groupe précédent. Je m’offre même un mini feu d’artifice à bout de bras en tournoyant parmi les gens tandis que Rachid danse dans la foule. L’engouement est tel que pour la seule fois de notre vie, à la fin du show, on nous fait quitter la place, entourés par les forces de l’ordre, pour rejoindre notre bus, poursuivis par des gens enthousiastes. Incroyable !

Rachid : D’accord avec Dominique, ce plan en Algérie, ce fut énorme, d’autant plus qu’on est arrivés le lendemain de la Finale de la Coupe du Monde de Football 2006 avec le fameux coup de boule de Zidane. Le lendemain à Siddi Bel Abbes, on devait faire un défilé avec tous les groupes du Festival. Dominique portait le drapeau Breton Nantais et moi, je devais porter le drapeau français. J’en étais un peu gêné. Mais dès le début du défilé, les gens ont crié « Zizou Zizou » et ce fut la liesse, une belle folie. C’était un Festival de Folklore et on accompagnait le Cercle Celtique Nantais Tréteaux et Terroir. On a été un peu les OVNI du Festival, mais la réception par le public fut géniale, comme l’impression d’être des stars ! L’autre anecdote… C’est autour d’Albert Poulain, qui était dans le jury lors d’une sélection pour le Kan Ar Bobl. Je le connaissais bien grâce à Zsofia mais je n’avais jamais osé lui parler des Baragouineurs. Du coup, ce fut la seule fois où j’ai eu le trac avec la peur de jouer devant lui et de sa réaction. En fait, il a adoré et a tenu à m’acheter notre premier EP en disant qu’on représentait très bien pour lui l’esprit du trad de Haute Bretagne!! Cette réaction de sa part, vu tout ce qu’il représente comme collecteur et chanteur, ça vaut tous les disques d’or, pour moi !

Y a-t-il des morceaux du groupe qui restent inédits ? En existe-t-il des enregistrements ?

Dominique : Il me semble qu’on a tout sorti. On a eu la chance d’avoir un super producteur, Nicolas Moreau, qui nous a suivi dans nos délires et qui a mis des sons dessus. Ce qui nous a permis de sortir 3 albums concepts dont on peut encore être très fiers aujourd’hui.

Rachid : Y’a juste un morceau en chantier qu’on a pas réussi à finir en studio lors de « Discoz ».

Êtes vous nostalgique de cette période ? Ou bien, avez vous des regrets sur certaines choses ?

Dominique : Aucune nostalgie pour ma part. Des regrets, on peut en avoir. J’aurai bien tourné un peu plus, mais on a un peu peur des clowns comme nous. Le public est là mais parfois, les organisateurs sont plus frileux. Nous, on savait que notre duo fonctionnait auprès de tous, qu’ils s’agisse de danseurs ou non. D’ailleurs, un des derniers spectacles qu’on a donné, s’est déroulé en Lorraine. Et grâce à ce public magnifique et populaire, ça a sans doute été un des meilleurs !

Rachid : Aucune nostalgie non plus, par contre je rencontre assez souvent des gens qui regrettent cette période et celle aussi du Cri du Cru. Ces deux projets étaient super originaux et du coup, on a marqué les gens ! Je me souviens de plein d’ambiances de ouf où on a mis le feu comme au Festival des Hortensias à Perros-Guirec ou La fête de la Saucisse à Plestin-Les-Grèves, du Zénith de Nantes avec une chanson avec les Tri Yann, de Sardinantes ou encore la Manif à Nantes pour le rassemblement d’une Bretagne à 5 départements, de moments forts de festoù-noz avec Plantec (période avec le chanteur Maël), IMG et Startijenn que j’adorais. Après, des regrets, on peut en avoir mais peu importe, nevermind the bollocks… Les Baragouineurs sont morts ! Vivent Les Baragouineurs !