Voici le deuxième des entretiens composant l’armature du travail accompli en 2013 par le guitariste Heikki Bourgault pour son mémoire consacré à « la pratique actuelle de la guitare et de l’instrument accompagnateur en musique bretonne ». La démarche générale, notamment autour du support utilisé pour aborder la pratique de l’instrument, a été présentée dans l’article précédent.
Ces entretiens ont été réalisés il y a 6 ans environ ; merci de garder à l’esprit que chacun des intervenants a nécessairement fait son chemin depuis, et qualifierait peut-être les choses autrement maintenant.
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….
Erwan est baigné dans la musique dès son plus jeune âge, notamment dans la musique traditionnelle bretonne, que pratique son père. Il démarre la guitare à l’âge de 16 ans en autodidacte. S’ensuivent de nombreuses expériences musicales, comme Francis Jackson Project, Ampouailh, Kadja, Le Bour/Bodros Quintet, Rhapsoldya, la création « El Taqa » du groupe fest-noz Startijenn, ainsi que des duos avec le violoniste Christian Lemaître, l’accordéoniste Tangi Le Gall-Carré et tout récemment avec le guitariste Soïg Sibéril ! Jeune guitariste de la scène bretonne, Erwan m’a toujours impressionné par sa personnalité et son jeu de main droite.
Salut Erwan ! Parle moi de ta rencontre avec la musique…
Mon père est musicien, un peu touche à tout, donc il y a toujours eu plein d’instruments à la maison. J’ai commencé à 8 ans par des cours de piano. Au bout de deux ans, comme il y avait plein de potes qui faisaient de l’accordéon sur Lannion avec Bernard Lasbleiz, j’ai eu envie de faire de l’accordéon ! J’ai donc pris un an de cours avec Daniel Féon, et après je suis parti à Lannion avec Bernard pendant 6 ans. Je commençais à jouer avec des potes, et comme il y avait plusieurs accordéonistes parmi eux, il fallait bien changer, que quelqu’un fasse autre chose pour monter un groupe, pour se marrer.
Du coup, je me suis mis à la guitare. J’avais un pote qui était guitariste aussi, alors je lui piquais sa gratte de temps en temps pour essayer de faire des thèmes. J’ai bossé tout seul au départ sur le disque solo de Jean-Charles Guichen, à apprendre quelques morceaux. Ensuite, j’ai rencontré Endwell Calvez, un jeune de Lannion que j’allais voir régulièrement et qui m’apprenait des trucs. Il était un peu dans cet esprit Rock’n’Roll, un peu à la Guichen, en open tuning. J’ai bossé pas mal avec lui, après j’ai pris un ou deux ans de cours avec Yann-Guirec Le Bars, et là j’ai commencé à jouer en standard. On bossait un peu de tout, de la bossa…
Et après je me suis mis au swing manouche avec Endwell, et j’ai fait le concours interlycées avec Mosso (on l’a gagné et on a eu quelques dates après…). C’est à ce concours interlycées que j’ai rencontré les frères Lotout pour la première fois. Ils ont monté Ampouailh en 2003 avec Morgane Menguy à la guitare au départ. À son départ, ils m’ont proposé de la remplacer et puis voila, c’était parti ! On a fait des dates, beaucoup de dates, jusqu’au jour où l’on m’a fait remarquer qu’en m’inscrivant au pôle emploi je pouvais devenir intermittent. J’ai fait la démarche direct et depuis je suis intermittent du spectacle !
Donc la guitare, un an de cours et puis j’ai appris en jouant avec d’autres, mais surtout de la mélodie. L’accompagnement, c’est plus venu après ; en fest-noz, la place traditionnelle de la guitare est souvent l’accompagnement derrière. Je m’arrangeais pour prendre quelques thèmes de temps en temps quand même !
Et tu n’as jamais eu envie de développer une formule où tu serais dans cette position là ?
Si, ça me plairait bien ! Il y avait quelques projets qui ne se sont finalement pas faits… mais avec Tangi Le Gall-Carré on prépare un album où le rôle de la guitare ne sera pas le même, il y aura beaucoup de thèmes à la guitare justement1. Rôles inversés, avec un accordéon accompagnateur. On va s’amuser à changer le rôle de la guitare de fest-noz. Mettre des grilles sur des thèmes, ça n’a jamais été mon fort… ça ne vient pas naturellement… il y a des mecs qui se repèrent tout de suite : tu fais un thème en majeur, le gars va accompagner en mineur avec la relative, moi je n’ai jamais ce réflexe là. Les grilles, en général ce que je fais est assez sommaire, mais je préfère travailler les thèmes, styler, phraser des thèmes, en trad surtout. Ce n’est pas évident en guitare, enfin c’est surtout que ça n’a pas été beaucoup fait ! Les thèmes en guitare, Soïg Sibéril a lancé ça pas mal en concert, Gilles Le Bigot pareil… C’est vraiment faire du biniou avec la guitare. Suivre le meneur, répondre au meneur en essayant de s’appliquer sur le style. C’est vraiment ça, jouer des thèmes de sonneurs, essayer de jouer avec leur manière, mais avec des clous différents.
Tu n’es jamais essayé de revenir à l’accordéon ou de te mettre à un instrument qui soit plus « fait pour ça » ?
Je m’étais mis à la trompette ; je l’avais achetée 150€, au bout d’un an elle était foutue. J’avais aussi essayé le violon, mais je n’ai rien compris… ! Alors que d’habitude, vu qu’il y avait plein d’instruments à la maison, des accordéons, des bombardes, j’avais l’occasion de toucher à tout et ça venait assez facilement. Et le violon pas du tout, rien à voir, ça couinait, enfin ça ne marchait pas… Du coup, j’ai laissé tomber. Mais depuis cette époque là, avec la trompette, je n’ai pas touché à d’autres instruments que la guitare. Question accompagnement, j’ai un jeu assez percussif, un rôle un peu de percu souvent, sûrement parce que j’ai joué dans des groupes où il n’y avait pas de percussions. Par exemple, quand je suis arrivé dans Ampouailh il n’y en avait pas, et j’avais donc le rôle de rythmicien derrière. J’ai pris cette habitude là, de jouer bourrin, en session en acoustique avec des clous qui sonnent plus fort, saxo et tout : pour accompagner, il fallait y aller, avec des guitares pourries à l’époque qui ne sonnaient pas un cachou, donc obligé de bourriner ! Ça, ce n’est pas une habitude facile à perdre. Avec le luthier Jean-Marie Fouilleul, on parlait des tirants de cordes. Lui me disait que c’était un non sens d’avoir des cordes en médium : si dures que ça, ça ne sert à rien, ça bride la guitare ; il faut qu’elle soit plus solide, donc niveau acoustique, ça ne la laisse pas libre, ça sonne moins à priori… Moi, je lui expliquais que c’était physique, quand je jouais j’avais envie de sentir les cordes, savoir que je pouvais y aller… ne pas sentir les cordes s’entrechoquer entre elles quand je jouais. Il m’a répondu que maintenant, on joue tous amplifiés, donc il n’y a pas besoin de tirer dessus comme un sourd, il suffit de tourner un peu le potard et de monter le volume ! Il m’a dit qu’il fallait que je ré-apprenne à jouer… Le coté percussif, quand on est pris au jeu sur scène, il y a du monde devant, les potes qui sont à fond aussi, je sais pas pourquoi ça vient tout seul, on se met à bourriner aussi… On a l’impression que ça donne plus, mais en fait pas forcément ! On pourrait plus jouer sur l’intensité, la dynamique. J’ai tendance à jouer un peu tout à fond, le plus fort possible, sans le vouloir, mais on finit par perdre de la dynamique, alors qu’en en gardant toujours un peu sous la pédale, ça sonnerait sûrement mieux! Mauvaise habitude… ! Mais oui, je n’ai jamais approché la guitare comme quelqu’un qui m’a marqué, je n’ai jamais cherché à apprendre des guitaristes spécialement. Je regardais aussi beaucoup des accordéonistes, des flûtistes… J’essayais de reproduire des ornements de flûte à la guitare, des trucs en Irlandais, les rolls, tout ces petits ornements, j’ai toujours aimé ça et ça enjolive un peu les thèmes en général. Ou des technique de banjo…
Passons à la pratique en écoutant l’enregistrement support. C’est donc un thème de gavotte…
Tu n’aurais pas un plinn plutôt ?? [rires]
Tu fais attention aux ornementations que tu fais ?
Heu… non pas vraiment, il y a certaines variantes que je fais consciemment, d’autres que je n’arrive pas à décomposer. Il y a des choses qui viennent de l’irlandais… Mais la gavotte, ce n’est pas ce que je bosse le plus. C’est super dur à jouer, des gavottes, en thème. En guitare, tu sens que c’est dur… C’est vachement nuancé dans l’intention, dans la dynamique, donc ça n’est pas ce qu’il y a de plus facile à rendre en guitare. Avec cet instrument, une fois que tu as frappé la corde, tu ne peux pas faire monter le volume après, par exemple… En gavotte, c’est bien de pouvoir le faire. Là, on ne peut le faire que sur les attaques, c’est embêtant. Alors que ça marche avec le plinn, par contre : les temps sont très respectés, alors qu’en gavotte c’est bien d’osciller un peu avec le thème, nuancer les notes au fur et à mesure. Faire monter l’intensité de la note en fin de phrase par exemple, ce n’est pas évident à faire en guitare, il faut trouver des petits subterfuges pour ornementer quand même, sans tomber dans le lourd. Du coup, les thèmes de gavotte ne sont pas évidents…
Donc tu as des schémas que tu reproduis ?
Là, oui carrément ! Là, j’ai carotté ! Après, rythmiquement, en gavotte je ne sais jamais trop comment les placer, je n’ai pas trop d’idée, mais j’aime bien faire un truc super sommaire de temps en temps, et puis d’autres plus arpégés, et de temps en temps un bon truc bien lourd pour remettre les temps en place ! Mais non, je n’ai pas trop réfléchi à ce que j’ai fait… La gavotte, c’est souvent arpégé quand c’est accompagné, j’ai l’impression que des guitaristes jouent très bien ça arpégé. Rythmiquement, enfin quand c’est plus en accords, j’ai l’impression que c’est moins joli, que ça charge vite.
Et harmoniquement ?
On est en Si mineur, je vois à peu près. Je ne sais pas exactement quel mode c’est, mais je sais à peu près quel accord va marcher sans trop me planter. Même s’il ne colle pas exactement au bon moment, je sais que je peux mettre du Si mineur, Mi mineur, Fa# mineur, Sol, La, Ré, et si je veux faire chier le monde, je mets un petit do majeur… mais je vois à peu près là où je peux aller sur le manche. Après, il y a plein de trucs à tenter. Selon le mode du thème, tu peux placer des trucs différents. Souvent, je pars d’un schéma classique comme ce que j’ai fait là, et puis je vais changer un truc, en me disant « tiens ça sonne, je garde !! ». Mais par exemple quand je compose les thèmes, je fais quasiment toujours les thèmes avant. Je trouve une grille qui sonne, et je fais le thème par dessus après. Et souvent je mets des chromatismes… J’aime bien, ça titille un peu l’oreille, c’est tendu… Souvent ,je pars d’un mode, par exemple dans un thème en Ré majeur, je vais placer un Fa bécarre un moment, et souvent finir en mineur. J’aime bien ce genre de truc et j’ai pas mal de compos qui sont sur ce schéma là. Je ne fais jamais des grilles bien compliquées avant de composer le thème et une fois que le thème est sorti à peu près, je réadapte la grille en chopant des relatives pour changer les accords et faire un truc un peu différent. Mais j’ai toujours fonctionné comme ça.
Il n’y a jamais eu de thèmes qui te sont venus comme ça, sans grille ?
Non, par exemple le truc d’Ampouailh, l’hanter dro. Première et deuxième phrase sur la même grille, on l’avait mis en place vite fait, ce truc là, et puis c’était resté comme ça. Mais, en général, j’enregistre sur une loop station une grille simple, et puis je refais un autre bout… Je fais vraiment par tranche de quelques mesures, et je monte tout ensemble à la fin. Ça donne des trucs un peu bizarres, mais c’est ce qui donne la marque de fabrique ! C’est une pratique courante en rock’n roll. Alors bon, ça m’est arrivé, sur des thèmes simples, de faire le thème d’abord et ensuite les accords, ou alors j’ai un thème et pas de grille… Quand j’entends un groupe, je n’écoute pas l’harmonie de la guitare en général, j’écoute toujours le thème, toujours l’oreille qui vient se coller au thème, et jamais à l’harmonie…
Entretien réalisé le 6 février 2012, à Rennes.
1L’album est sorti en 2013. Bientôt un second opus ?