Après de premières escapades en terre poitevine, on vous emmène un peu plus loin, jusque dans les parages de Clermont-Ferrand, pour un nouveau festival qui semblait prometteur et, de fait, ce premier week-end d’août a tenu ses promesses, et bien plus. Bienvenue dans les Combrailles, donc, pour une première édition particulièrement réussie et enthousiasmante. Un avertissement préalable, cependant : il va quand même être beaucoup question de bourrée, on vous aura prévenus…
Saint-Gervais après Saint-Gervais
A l’origine de Comboros, la fin d’un autre festival. Institution dans le monde du folk, le grand bal de l’Europe qui se tenait à Saint-Gervais-d’Auvergne depuis 2005 était un extension de la grand’messe de Gennetines, rassemblement annuel drainant des foules compactes de danseurs venus de toute la France, voire de l’international. À l’issue de l’édition 2016, les organisateurs ont annoncé leur décision de se recentrer à l’avenir sur le seul site de Gennetines (et ce, pour une durée plus longue). Parmi les nombreuses personnes et collectifs déplorant que plus rien ne se fasse à Saint-Gervais, il s’en est trouvé à avoir suffisamment d’envie (et de courage) pour se retrousser les manches et proposer de monter quelque chose. Qui serait nécessairement autre chose. En l’occurrence, les « repreneurs » volontaires n’étaient autres que les Brayauds, asso bien connue des danseurs de bourrée de Centre France. L’idée était manifestement d’organiser un événement qui leur ressemble « mais pas que » (c’est-à-dire incluant d’autres approches du trad), avec comme caractéristiques premières un gros ancrage dans la matière traditionnelle et un tempérament festif et convivial bien affirmé.
Le trad en fête made in Brayauds
Je fais partie des gens qui venaient pour la première fois et qui, de fait, ne seraient probablement jamais venus à Saint-Gervais première mouture (sans doute la peur atavique et irrépressible du breton à la simple idée de tous ces hippies folkeux déployant avec amour et sensibilité mille et une variantes déstructurées de danses même pas bretonnes). J’ai donc découvert ce qu’était Comboros sans pouvoir faire de comparaison avec ce qui avait précédé (et à vrai dire, je m’en fous un peu).
Ce qui ressort comme marqueurs d’identité du nouveau festival, en dehors de l’importance de la convivialité et du partage, c’est l’inclusion dans le village de Saint-Gervais. Concerts dans l’église, déambulation musicale, bœuf chanté en clôture de festival, marché, etc. … Il y avait une vraie volonté manifeste d’organiser un événement populaire et ouvert, pas planté dans un coin du bled comme un « club med » folkeux sans contact avec l’indigène. Et un indicateur de la réussite de ce pari est qu’on a vu sur le site du festival pas mal de gens qui de toute évidence n’étaient pas danseurs, ne comprenaient pas grand-chose à la musique traditionnelle, mais étaient venus, en famille ou pas, pour participer ou juste boire un coup et voir à quoi tout ce ouin-ouin ressemblait. On retrouvait donc une mixité dans le public qui évitait le piège de l’entre soi et des « consommateurs de danse » vivant leur passion dans un espace déconnecté de son environnement.
Pour le reste, la programmation affichait à la fois des choix clairs et une ouverture assumée. D’aucuns craignaient que Les Brayauds n’optent pour un « tout trad » loin des esthétiques métissées qu’on croise si volontiers en bal folk, mais la réalité est qu’il y en avait pour tous les goûts, mais toujours avec bon goût (enfin ça, c’est subjectif, bien sûr). Evidemment, les groupes issus du collectif du Gamounet ou partageant des fondamentaux dans l’approche du trad avaient la part belle (La Preyra, Komred, Gravenoire, la perdrix rouge, Rivaud-Lacouchie, La Vielha…), mais il y avait aussi Ciac Boum, Ballsy Swing, Bargainatt, Tripoux, Coudroy/Tanghe, Superparquet (annulé au dernier moment parce qu’un membre du groupe s’était abîmé pendant un séjour en Bretagne…(ça ne s’invente pas) et remplacé au pied levé par Bougnat Sound)… Et un bal rétro, et un bal pour enfants, et un ciné-concert de poche, et des concerts du collectif La Novia, et des stages, des bœufs et des scènes ouvertes, et même un concours de pétanque… Le tout dans un cadre agréable, bien aménagé et joliment décoré, accueillant une offre de restauration variée et un marché des luthiers. Que demande le peuple ?
A boire, oui, je sais. On va en parler.
Ah, la buvette de Comboros…
Oui, on va consacrer un paragraphe entier à la buvette d’un festival. Car le slogan « la buvette ne fermera pas », annoncé bien en amont de ce début de mois d’aôut et qui avait des airs de gageure goguenarde, n’a pas été un vain mot, monsieur. Et pour avoir officié en tant que bénévole, je peux assurer qu’il y avait vraiment des créneaux de bénévolat 24h/24 à la buvette. Pensée comme le centre de la convivialité du festival, on y pratiquait des tarifs raisonnables avec une carte large et agrémentée de spécialités à l’heure de l’apéro (l’occasion de découvrir la marquisette et le bougnat, par exemple), et puis bon, quand on propose trois bières bio locales ou de la kro au même prix, qu’est-ce que vous croyez qu’il reste, à la fin ? Comme à Parthenay, les musiciens programmés ont parfois leurs créneaux à y assurer, des bœufs éclatent, l’ambiance n’y faiblit jamais. Et pour ceux qui penseraient que c’est bien beau de mettre en application une idée fantasque, mais que ça devait quand même être bien calme entre 5h et 7h du mat (après la fin des concerts, avant l’arrivée du petit dej’), il fallait y être pour constater qu’il n’y a pas d’heure pour foutre le bazar. Ça chante fort, ça chambre, ça rit beaucoup, et les yeux pétillent avec un brin de fatigue. Et même le maire de Saint-Gervais servait derrière le comptoir en tant que bénévole, si c’est pas un signe de l’état d’esprit général, ça…
Et la danse, dans tout ça ?
Alors bien sûr, les gens venaient quand même un peu pour danser, hein. Les bals proprement dits avaient lieu sur trois scènes, le grand chapiteau, la salle des fêtes et un amphithéâtre dévolu aux formations tirées au sort pour la scène ouverte. Chaque espace avait son ambiance bien à lui, et était à une distance suffisante pour prendre l’air entre les deux et pas trop grande pour musarder d’un endroit à l’autre. Alors bon, on va entrer dans le vif du sujet, en abordant les répertoires. Et là, on ne va pas se mentir : on était vraiment dans le royaume de la bourrée, la vraie, à deux temps, à trois temps, et revenue plus souvent qu’à son tour. Bien sûr, il y a eu des danses du sud ouest, des danses des Flandres, du Poitou, quelques danses bretonnes et même des danses irlandaises ou suédoises. Et, évidemment, beaucoup de danses en couple (scottiches, valses, mazurkas, polkas…).
Pour le danseur de fest-noz habituel, le dépaysement est un peu hardcore, d’une part parce qu’ici on assume de proposer plein de fois la même danse dans un même set (allez voir comment ça râle dans un fest-noz quand il y a plus de trois fois la même sur l’ensemble de la soirée), et que, bon, il y a beaucoup beaucoup de bourrées, tout de même. Et puis hé, ça la danse pas comme en Bretagne, hein. Du coup, même s’il y a aussi (heureusement) plein de gens ici aussi qui la dansent très mal ou assez médiocrement, ça laisse volontiers en bord de parquet un paquet de fois, parce qu’on ne se sent pas forcément capable de se lancer. Mais bon, il y avait des stages de bourrée pendant le festival et ça donne vraiment envie d’apprendre, de côtoyer des danseurs à la fois ancrés et libres, pleins d’une élégance rustique et d’une jubilation à composer ensemble un éphémère moment de jeu dans le geste.
En 2018, venez tester le plancher qui penche et la buvette qui ne ferme pas !
La première édition de Comboros reposait sur un modèle économique particulier. Préparé par obligation en peu de temps, donc sans celui de monter un dossier susceptible de recevoir toutes les subventions et tous les soutiens qu’il aurait été en droit d’espérer sinon, le festival a bénéficié de l’implication militante de bien des acteurs, musiciens venus jouer en amis, techniciens et bénévoles très disponibles et compréhensifs… Il est évident que la seconde édition reposera nécessairement sur des postulats différents pour pérenniser l’événement. Mais le pari de cette première était largement réussi, tant tout le monde en est reparti souriant et conquis par l’état d’esprit général et les moments chouettes de danse, de musique ou simplement d’humanité qui ont eu lieu tout au long du week-end. Certes le plancher penchait, certes on a fini par manquer de beaucoup de choses à la buvette dans les dernières heures, mais qui s’en soucie vraiment ? Alors bon, c’est vrai, l’Auvergne c’est pas tout près de la Bretagne, mais ce n’est pas si loin non plus. Et puis finalement, on a beaucoup à gagner à oser s’égarer dans des endroits où on devine qu’on se sentira bien. Parce que les organisateurs ont réussi le pari d’un événement où le terme « traditionnel » renvoie surtout à une cohérence culturelle, un art de vivre qui dépasse de beaucoup la musique et la danse.
crédits photo : Véronique Chochon, André Hébrard, Samuel Lagneau/Mashmallow Photo
liens : allez voir chez les Brayauds (site et facebook) et le festival lui même (site et facebook)
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