Cette vidéo pourrait constituer une introduction idéale à l’ensemble du propos tenu sur ce site. Non pas qu’on soit littéralement et intégralement d’accord avec tout ce qui y est dit, non pas qu’on y trouve uniquement des éléments en rapport avec le bal trad actuel, mais quand même… Il y a des choses à écouter, là. Sur ce qu’est tout ça.
C’est quoi, cette vidéo ?
Ce film, fruit d’une collaboration entre la LMDT Massif Central et TéléMillevaches, est constitué d’extraits d’un entretien avec le poète, écrivain, éditeur, chanteur et musicien Jan dau Melhau, figure de la culture limousine et du revivalisme depuis les années 1970. Il porte sur la bourrée, la langue régionale, la société traditionnelle, ce qu’il en reste… entre autres choses.
Alors oui, il s’agit de bourrée, on n’est donc pas dans le répertoire breton. Et alors ? Qu’on écoute, et on verra bien vite quels parallèles on peut voir avec la réalité d’autres terroirs de danse que ceux (énormes, divers, foisonnants) de la bourrée, avec des réponses et des modalités variées selon les endroits et les époques.
Regardez et écoutez, donc, si vous voulez bien, on en reparle après.
Ce qu’on peut (notamment) en retenir
– la société traditionnelle est morte. La danse qui en est issue perd toute sa cohérence originelle du fait même que le reste de la société rurale traditionnelle a disparu. Il s’agissait d’un tout cohérent, pas d’éléments séparés qu’on pourrait préserver et perpétuer tels quels, indépendamment les uns des autres. Et il ne s’agit pas que de sociologie, mais aussi de la façon d’incarner son corps, de l’engager dans la danse. Désormais, tout cela a changé et le rapport à la danse, à la tradition, relève du divertissement, du loisir. Il n’y a qu’une continuité ténue entre ce qui est à jamais révolu (la société d’un autre temps) et ce qui en a été préservé et réinvesti, au prix d’altérations inévitables, au sein du mouvement revivaliste.
– traditionnellement, dans la danse, même les non danseurs participent, en tant que communauté, et « portent » la danse. Là encore, ce cadre n’est plus guère possible désormais. Mais la danse conserve ce potentiel de souder une communauté se reconnaissant en elle (quoiqu’on projette sur elle comme éléments d’identité, de valeurs…).
– Dans la société traditionnelle, on n’apprend pas les danses, on s’en imprègne sans enseignement, et on restitue cette imbibition au moment où on se met à danser, accompagné par la communauté. Dans le revivalisme, ce n’est plus possible, le cadre d’imprégnation n’existe plus : on doit apprendre d’un enseignement, donc d’une ou plusieurs personnes. De même que les collecteurs essaient d’avoir un nombre important d’informateurs pour dresser un tableau crédible d’une réalité, le danseur, s’il n’apprend que d’un ou de quelques référents, se doit de questionner la fiabilité catégorique de cet enseignement. Il doit être conscient qu’il s’en remet à la parole et à la subjectivité (même pondérée, même inconsciente) de « celui qui sait » (ou prétend savoir), et non à l’assentiment tacite ou explicite d’une communauté.
– pratiquer la danse traditionnelle, c’est aujourd’hui s’inscrire dans une résistance salutaire. Loin d’être réactionnaire ou simplement conservatoire, c’est une pratique qui se vit dans une temporalité impérativement longue. On ne devient vraiment le danseur qu’on est potentiellement que sur un temps long, par la maturation des gestes et du rapport à la danse, à la musique. C’est aussi accepter de s’abstraire des codes de séduction de la culture populaire contemporaine (valorisation de la création, tyrannie de l’instant, immédiateté de l’accès à la compréhension et au plaisir). S’employer à comprendre et pratiquer ces danses impose un autre rapport au monde. Et c’est probablement une des raisons pour lesquelles ce domaine de la danse trad constitue une formidable richesse à partager, parce qu’il est au moins aussi libérateur qu’il paraît désuet. Tout le contraire d’un anachronisme, donc. Mais qu’on se rassure, les boîtes de nuit ne sont pas près de faire faillite.